- 3 juillet 2016 - Syrie
LE RELIGIEUX QUI A SAUVÉ DES MILLIERS D'ANTIQUES MANUSCRITS
Le Père Najeeb, qui en 1990, a fondé le Centre numérique des manuscrits orientaux. a pris tous les risques en Irak pour sauver des milliers de manuscrits du XIVème siècle, avant que Daech ne les brûle.
Les rides ont oublié de se former sur sa peau hâlée. Le Père Najeeb, 61 ans, paraît facilement 10 ans de moins. Il arrive avec une ponctualité parfaite au centre de réfugiés Al Karma, à Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil, où il vit désormais, après avoir fui Daech.
L’homme de la mission dominicaine de Mossoul parle vite, veut tout montrer et expliquer. Il a l’énergie des passionnés. Et c’est cette force qui est à l’origine d’un sauvetage in extremis d’une partie précieuse du patrimoine écrit de la région, que l’Etat islamique voulait brûler.
Au départ, Michaeel Najeeb n’avait pas grand-chose d’un prêtre. Après un bac scientifique, il s’est tourné vers le pétrole, en tant qu’expert en forage, dans le sud de l’Irak. Il ne renie pas. «Cela me plaisait beaucoup.»
Il explique avoir senti ensuite une «vocation de servir les gens et de creuser les idées théologiques et spirituelles plutôt que des puits de pétrole». C’est donc à 24 ans qu’il intègre la mission dominicaine de la deuxième ville d’Irak et commence à mettre en valeur des manuscrits de la bibliothèque de son couvent. Puis des églises et monastères voisins. Et enfin, de tout le pays. Il restaure, catalogue, protège.
Au
Centre numérique des manuscrits orientaux qu'il a fondé «les gens amènent des livres dans des états critiques. Ils sont humides car ils les cachent à la cave. Parfois, ils sont rongés par les rats qui cherchent la vie intellectuelle. Remarquez, les souris, c’est toujours mieux que Daech: au moins elles en profitent en les mangeant, alors que l’Etat islamique les brûle», plaisante-t-il, amer.
La chute de Saddam Hussein en 2003 constitue le premier de ces incidents. «On a remplacé un dictateur par des centaines de dictateurs. Aujourd’hui est bien pire qu’hier.»
Dès l’année suivante, la communauté chrétienne est touchée par des attentats. «J’ai reçu quinze menaces personnelles à travers des lettres et des coups de téléphone.» A l’origine de ces persécutions: «Des groupes djihadistes salafistes qui donneront plus tard naissance à l’Etat islamique».
Sur ordre de sa hiérarchie, le Père Najeeb se résout à fuir Mossoul. Mais, insiste-t-il, il a obéi à ses supérieurs, pas aux terroristes.
C’est à Qaraqosh, à 35 km de là, qu’il s’installe. «L’église et le couvent de Mossoul n’ont jamais été fermés pour autant. Tour à tour, les frères se relayaient sur place pour assurer la messe dominicale. On entrait dans la ville à des moments toujours différents pour ne pas être détectés. On célébrait les messes dans les caves pour se protéger des bombes et des attaques. De toute façon, notre église était inutilisable: les portes et fenêtres avaient été soufflées par une explosion. Aujourd’hui, elle est devenue une prison de Daech, dans laquelle des gens sont torturés», dit-il, semblant ne pas y croire lui-même.
Dès 2007, le Père Najeeb sent le vent tourner et anticipe. Il transfère les manuscrits de Mossoul à Qaraqosh. Une fois ce travail terminé, il entreprend en 2013 une thèse sur la minorité yézidie à l’Université de Fribourg. Il ne la terminera pas. Car, quand il rentre en Irak en été 2014 pour compléter sa bibliographie, Daech est là. Sinjar – où il voulait consulter certains manuscrits – tombe. «Ils ont été plus rapides que moi.» Ses études ne sont plus la priorité.
Le 10 juin 2014, l’Etat islamique s’empare de Mossoul. L’homme accélère son travail de numérisation et d’archivage. Il photographie aussi tous les objets précieux appartenant au patrimoine irakien. Il en fait des montagnes de cartons. Le 25 juillet, ceux-ci sont entassés dans un camion pour Erbil, où ils sont encore aujourd’hui. «Dans un lieu tenu secret», affirme le Père Najeeb.
Il ne peut continuer avec son camio, alors il demande aux réfugiés de l’aider à transporter sa cargaison à pied jusqu’au Kurdistan à un kilomètre. Requête plutôt incongrue au moment où l’on tente de sauver sa peau. «J’ai confié des lots de documents datant du XIVe et du XVe siècles à des enfants. Des cartons entiers à des gens que je ne connaissais pas.»
Le Père Najeeb se souvient de la solidarité dans ce mouvement de peur. «Les gens regardaient à droite et à gauche si quelqu’un avait besoin d’aide. Et ce, malgré la tension.»
Aujourd’hui, le Père Najeeb se sent en sécurité à Erbil. Il y a créé deux centres pour venir en aide aux réfugiés. Et bien évidemment, il continue à œuvrer pour la préservation du patrimoine, tout en maintenant une vie religieuse pour la minorité chrétienne qui s’est abritée là. Dans son studio minuscule, un placard est rempli de livres qui attendent ses soins.
Le Père Najeeb est donc un homme très occupé. Et dès que la situation le permettra, il reviendra à l'université de Fribourg en Suisse, pour terminer sa thèse. «Je n’abandonnerai pas», assure-t-il. (source : cath.ch)
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