02.01.04
- Le message de Jean Paul II pour
la Journée mondiale de la Paix.
Nous vous donnons ici la traduction officielle
des principaux passages de ce message.
1- Au cours des vingt-cinq ans de pontificat que le Seigneur m'a accordés
jusqu'ici, je n'ai pas cessé de faire entendre ma voix, devant l'Église
et devant le monde, pour inviter les croyants, ainsi que tous les hommes
de bonne volonté, à faire leur la cause de la paix, pour contribuer
à mettre en œuvre ce bien primordial, assurant ainsi au monde des temps
meilleurs, dans une convivialité sereine et dans un respect réciproque.
Cette année encore, je me sens le devoir d'inviter les hommes et les
femmes de tous les continents à célébrer une nouvelle Journée mondiale
de la Paix. L'humanité en effet, ébranlée comme elle l'est par l'égoïsme
et par la haine, par la soif de puissance et par le désir de vengeance,
a plus que jamais besoin de retrouver le chemin de la concorde.La science
de la paix
2. La science de la Paix. Les onze Messages adressés au monde
par le Pape Paul VI ont progressivement balisé le chemin à accomplir
pour parvenir à l'idéal de la paix. Peu à peu, ce grand Pape en est
venu à illustrer les différents chapitres d'une véritable " science
de la paix ". Il n'est pas inutile de nous remémorer les thèmes des
Messages qui nous ont été laissés par le Pape Montini à cette occasion.
Chacun d'eux est encore aujourd'hui d'une grande actualité. Bien plus,
face au drame des guerres qui, au début du troisième millénaire, ensanglantent
encore certaines régions du monde, surtout au Moyen-Orient, ces écrits,
dans certains de leurs passages, prennent la valeur d'avertissements
prophétiques.Le lexique de la paix3. Pour ma part, au cours de mes vingt-cinq
ans de pontificat, j'ai cherché à poursuivre le chemin tracé par mon
vénéré prédécesseur. Au début de chaque nouvelle année, j'ai appelé
les personnes de bonne volonté à réfléchir sur différents aspects d'une
convivialité ordonnée, à la lumière de la raison et de la foi.C'est
ainsi qu'est née une synthèse de la doctrine sur la paix, une sorte
de lexique concernant ce sujet fondamental: un lexique simple à comprendre
pour qui a l'esprit bien disposé, mais en même temps extrêmement exigeant
pour toute personne sensible au sort de l'humanité.
3. Le lexique de la Paix....Les différentes facettes du prisme
de la paix ont désormais été largement illustrées. Il reste maintenant
à travailler, pour que l'idéal de la convivialité pacifique, avec ses
exigences précises, entre dans la conscience des individus et des peuples.
Nous chrétiens, nous ressentons l'engagement à nous éduquer nous-mêmes,
ainsi que les autres, à la paix comme faisant partie du génie même de
notre religion. Pour le chrétien, en effet, proclamer la paix c'est
annoncer le Christ qui est " notre paix " (Ep 2,14), c'est annoncer
son Évangile, qui est " l'Évangile de la paix " (Ep 6,15), c'est appeler
tous les hommes à vivre la béatitude invitant à être des " artisans
de paix " (cf. Mt 5,9).L'éducation à la paix
4. L'éducation à la Paix. Dans le Message pour
la Journée mondiale de la Paix du 1er janvier 1979, je lançais déjà
cet appel: " Pour parvenir à la paix, éduquer à la paix ". Cela est
aujourd'hui plus urgent que jamais, car les hommes, devant les tragédies
qui continuent d'affliger l'humanité, sont tentés de céder au fatalisme,
comme si la paix était un idéal inaccessible.
L'Église, quant à elle, a toujours enseigné et enseigne encore aujourd'hui
un axiome très simple: la paix est possible. Bien plus, l'Église ne
se lasse pas de répéter: la paix est un devoir. Cette dernière doit
être construite sur les quatre piliers indiqués par le Bienheureux Jean
XXIII dans l'encyclique Pacem in terris, c'est-à-dire sur la vérité,
la justice, l'amour et la liberté. Un devoir s'impose donc à tous ceux
qui aiment la paix, celui d'éduquer les nouvelles générations à ces
idéaux, afin de préparer des temps meilleurs pour toute l'humanité.
5. L'éducation à la légalité. Dans ce devoir d'éducation à la
paix, s'inscrit avec une particulière urgence la nécessité de conduire
les individus et les peuples à respecter l'ordre international et à
observer les engagements pris par les Autorités qui les représentent
légitimement. La paix et le droit international sont intimement liés
entre eux: le droit favorise la paix.
Depuis le début de la civilisation, les regroupements humains, qui se
constituaient peu à peu, eurent soin d'établir des ententes et des pactes
afin d'éviter l'usage arbitraire de la force et d'ouvrir la voie à une
solution pacifique des controverses surgissant au fil du temps. À côté
des ordonnancements juridiques propres aux différents peuples, se constitua
ainsi progressivement un autre ensemble de normes, qui fut qualifié
du nom de jus gentium (droit des peuples). Avec le temps, ce dernier
s'est précisé et affiné à la lumière des évolutions historiques des
divers peuples.
Ce processus a subi une forte accélération avec la naissance des États
modernes. À partir du XVIe siècle, juristes, philosophes et théologiens
s'engagèrent dans l'élaboration de différents chapitres du droit international,
l'enracinant dans des postulats fondamentaux du droit naturel. Au cours
de cette évolution, ont pris forme, d'une manière de plus en plus forte
et avec un développement croissant, des principes universels, qui sont
antérieurs et supérieurs au droit interne des États et qui tiennent
compte de l'unité et de la vocation commune de la famille humaine.
Entre tous, le principe assurément central est le suivant: pacta sunt
servanda, à savoir les accords librement souscrits doivent être honorés.
C'est là le point fondamental et le présupposé incontournable de tout
rapport entre des parties contractantes responsables. Sa violation ne
peut qu'engendrer une situation d'illégalité d'où s'ensuivraient des
désaccords et des oppositions qui ne manqueraient pas d'avoir des répercussions
négatives durables. Il est donc opportun de rappeler cette règle fondamentale,
surtout dans les moments où l'on perçoit la tentation de recourir au
droit de la force plutôt qu'à la force du droit.
Un de ces moments fut certainement le drame dont l'humanité fit l'expérience
durant la seconde guerre mondiale: un abîme de violence, de destruction
et de mort comme on n'en avait jamais connu jusqu'alors.
6. L'observance du droit. Cette guerre, avec les horreurs et
les terrifiantes violations de la dignité de l'homme qu'elle provoqua,
conduisit à un profond renouvellement de l'ordre juridique international.
La défense et la promotion de la paix furent mises au centre d'un système
législatif et institutionnel largement mis à jour. Pour veiller à la
paix et à la sécurité mondiales, pour encourager les efforts des États
au maintien et à la garantie de ces biens fondamentaux de l'humanité,
une organisation a été créée, constituée spécialement à cet effet -
l'Organisation des Nations unies - avec un Conseil de Sécurité investi
de larges pouvoirs d'action.
L'interdiction du recours à la force a été établie comme axe central
du système; interdiction qui, selon le chapitre VII, bien connu, de
la Charte des Nations unies, prévoit deux seules exceptions. La première
confirme le droit naturel à la légitime défense, qui doit s'exercer
selon les modalités prévues et dans le cadre des Nations unies: par
conséquent, également dans les limites traditionnelles de la nécessité
et de la proportionnalité.
L'autre exception concerne le système de sécurité collective, qui attribue
au Conseil de Sécurité la compétence et la responsabilité en matière
de maintien de la paix, avec les pouvoirs de décision et une grande
faculté discrétionnaire.Le système élaboré par la Charte des Nations
unies aurait dû " préserver les générations futures du fléau de la guerre,
qui deux fois en l'espace d'une vie humaine, a infligé d'indicibles
souffrances à l'humanité ".
Toutefois, au cours des décennies suivantes, la division de la communauté
internationale en blocs opposés, la guerre froide dans une partie du
globe, les violents conflits qui ont éclaté dans d'autres régions, le
phénomène du terrorisme, ont conduit à un éloignement croissant des
prévisions et des attentes de l'immédiat après-guerre.
7. Un nouvel ordre international. Il faut toutefois reconnaître
que l'Organisation des Nations unies, même avec des limites et des retards
liés pour une grande part à des défaillances de ses membres, a contribué
notablement à promouvoir le respect de la dignité humaine, la liberté
des peuples et l'exigence du développement, préparant ainsi le terrain
culturel et institutionnel sur lequel peut être édifiée la paix.
L'action des gouvernements nationaux trouvera un puissant encouragement
dans le fait que les idéaux des Nations unies sont largement répandus,
en particulier à travers les gestes concrets de solidarité et de paix,
accomplis par tant de personnes qui œuvrent au sein des Organisations
non gouvernementales et dans les Mouvements pour les droits de l'homme.
Cela représente une incitation significative pour entreprendre une réforme
qui mette l'Organisation des Nations unies en mesure de fonctionner
de manière efficace afin d'atteindre ses fins statutaires, toujours
valables: " Affrontant une période nouvelle et plus difficile de son
développement authentique, l'humanité a besoin aujourd'hui d'un degré
supérieur d'organisation à l'échelle internationale ".
Les États doivent considérer un tel objectif comme une obligation morale
et politique précise, qui requiert prudence et détermination. Je renouvelle
le souhait que j'avais formulé en 1995: " Il convient que l'Organisation
des Nations unies s'élève toujours plus du stade d'une froide institution
de type administratif à celui de centre moral, où toutes les nations
du monde se sentent chez elles, développant la conscience commune d'être,
pour ainsi dire, une ''famille des nations'' ".
8. La plaie funeste du terrorisme. Le droit international a aujourd'hui
du mal à offrir des solutions aux situations conflictuelles découlant
des transformations de la physionomie du monde contemporain. En effet,
ces situations conflictuelles ont souvent parmi leurs protagonistes
des acteurs qui ne sont pas des États, mais des groupements issus de
la désagrégation des États, ou liés à des revendications indépendantistes
ou associés à des organisations criminelles structurées.
L'ordre juridique, constitué de normes élaborées tout au long des siècles
pour réguler les rapports entre États souverains, a du mal à faire face
à des conflits dans lesquels agissent également des organisations qui
ne peuvent être identifiées aux caractéristiques traditionnelles du
concept d'État. Ceci vaut, en particulier, dans le cas de groupes terroristes.
La plaie du terrorisme est devenue ces dernières années plus virulente
et elle a produit d'atroces massacres, qui ont rendu le chemin du dialogue
et de la négociation toujours plus hérissé d'obstacles, en exacerbant
les esprits et en aggravant les problèmes, en particulier au Moyen-Orient.
Toutefois, pour être victorieuse, la lutte contre le terrorisme ne peut
se limiter seulement à des opérations répressives et punitives. Il est
essentiel que le recours à la force, s'il est nécessaire, soit accompagné
d'une analyse courageuse et lucide des motivations sous-jacentes aux
attaques terroristes. En même temps, la lutte contre le terrorisme doit
aussi être menée sur le plan politique et pédagogique: d'un côté, en
supprimant les causes qui sont à l'origine de situations d'injustice
qui incitent souvent aux actes les plus désespérés et les plus sanguinaires;
de l'autre, en insistant sur une éducation inspirée du respect de la
vie humaine en toute circonstance: l'unité du genre humain est, en effet,
une réalité plus forte que les divisions contingentes qui séparent les
hommes et les peuples.
Dans la nécessaire lutte contre le terrorisme, le droit international
est désormais appelé à élaborer des instruments juridiques dotés d'efficaces
mécanismes de prévention, de surveillance et de répression de la criminalité.
Dans tous les cas, les gouvernements démocratiques savent bien que l'usage
de la force contre les terroristes ne peut justifier le renoncement
aux principes d'un État de droit. Des choix politiques qui rechercheraient
le succès sans tenir compte des droits fondamentaux de l'homme seraient
inacceptables, car la fin ne justifie jamais les moyens.
9. La contribution de l'Église. " Heureux les artisans de paix,
ils seront appelés fils de Dieu! " (Mt 5,9). Comment ces mots, qui invitent
à œuvrer dans l'immense champ de la paix, trouveraient-ils un écho aussi
intense dans le cœur humain s'ils ne correspondaient à une aspiration
profonde et à une espérance qui vivent en nous de manière indestructible?
Et pour quelle autre raison les artisans de paix seraient-ils appelés
fils de Dieu sinon parce que Dieu, par nature, est un Dieu de paix?
C'est bien pour cela que l'annonce du salut, que l'Église répand dans
le monde, contient des éléments doctrinaux d'une importance fondamentale
pour l'élaboration des principes nécessaires à une convivialité pacifique
entre les nations.
Les événements de l'histoire nous enseignent que l'édification de la
paix ne peut se passer du respect d'un ordre éthique et juridique, selon
le vieil adage: " Serva ordinem et ordo servabit te " (préserve l'ordre
et l'ordre te préservera). Le droit international doit éviter que prévale
la loi du plus fort. Son but essentiel est qu'" à la force matérielle
des armes soit substituée la force morale du droit ", prévoyant des
sanctions appropriées contre les transgresseurs, ainsi que des réparations
adaptées pour les victimes. Cela doit également valoir pour les gouvernants
qui violent impunément la dignité et les droits de l'homme, sous le
prétexte inacceptable qu'il s'agit de questions internes à leur État.
En m'adressant au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège,
le 13 janvier 1997, je relevais que le droit international est un instrument
de premier ordre pour l'obtention de la paix: " Le droit international
a été pendant longtemps un droit de la guerre et de la paix. Je crois
qu'il est de plus en plus appelé à devenir exclusivement un droit de
la paix conçue en fonction de la justice et de la solidarité. Et, dans
ce contexte, la morale doit féconder le droit; elle peut même exercer
une fonction d'anticipation sur le droit, dans la mesure où elle lui
indique la direction de ce qui est juste et bien ".
On note l'importance de la contribution doctrinale proposée par l'Église
au cours des siècles, grâce à la réflexion philosophique et théologique
de nombreux penseurs chrétiens, pour orienter le droit international
vers le bien commun de la famille humaine tout entière. En particulier,
dans l'histoire contemporaine, les Papes n'ont pas hésité à mettre en
relief l'importance du droit international comme gage de paix, car ils
avaient la conviction que " c'est dans la paix qu'est semée la justice,
qui donne son fruit aux artisans de la paix " (Jc 3,18). L'Église est
engagée sur cette voie, avec les moyens qui lui sont propres, à la lumière
sans déclin de l'Évangile et avec le secours indispensable de la prière.
10. La civilisation de l'amour. Au terme de ces réflexions, j'estime
toutefois de mon devoir de rappeler que, pour l'établissement d'une
paix véritable dans le monde, la justice doit trouver son complément
dans la charité. Certes, le droit est la première route à suivre pour
atteindre la paix. Les peuples doivent être éduqués au respect de ce
droit. Mais on n'arrivera pas au terme du chemin si la justice n'est
pas complétée par l'amour.
Justice et amour apparaissent parfois comme des forces antagonistes.
Ils ne sont en vérité que les deux faces d'une même réalité, les deux
dimensions de l'existence humaine qui doivent se compléter mutuellement.
L'expérience historique nous le confirme. Elle montre comment la justice
a souvent de la peine à se libérer de la rancune, de la haine et même
de la cruauté. Seule, la justice ne suffit pas. Elle peut même en arriver
à se nier elle-même, si elle ne s'ouvre pas à cette force plus profonde
qu'est l'amour.
C'est pour cela que, plus d'une fois, j'ai rappelé aux chrétiens et
à toutes les personnes de bonne volonté la nécessité du pardon pour
résoudre les problèmes entre les personnes comme entre les peuples.
Il n'y a pas de paix sans pardon! Et je le répète encore en cette circonstance,
alors que j'ai en particulier sous les yeux la crise qui continue à
se déchaîner en Palestine et au Moyen-Orient: une solution aux très
graves problèmes dont souffrent depuis trop longtemps les populations
de ces régions ne pourra pas être trouvée tant que l'on ne se décidera
pas à dépasser la logique de la simple justice pour s'ouvrir aussi à
celle du pardon.
Le chrétien le sait: l'amour est la raison qui fait que Dieu entre en
relation avec l'homme. Et c'est encore l'amour qu'Il attend comme réponse
de l'homme. L'amour est de ce fait la forme la plus haute et la plus
noble de relation des êtres humains entre eux aussi. L'amour devra donc
animer tous les secteurs de la vie humaine et s'étendre également à
l'ordre international. Seule une humanité dans laquelle règne la " civilisation
de l'amour " pourra jouir d'une paix authentique et durable.
Au seuil d'une nouvelle année, je désire rappeler aux femmes et aux
hommes de toute langue, de toute religion et de toute culture l'antique
maxime: " Omnia vincit amor " (L'amour est vainqueur de tout)! Oui,
chers Frères et Sœurs de toutes les parties du monde, au terme, c'est
l'amour qui vaincra! Que chacun s'emploie à hâter le moment de cette
victoire! En fin de compte, c'est à cette victoire qu'aspire le cœur
de tous.
Du Vatican, le 8 décembre 2003.JEAN PAUL II .
Pour plus d'informations : Service de
presse du Vatican
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