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15.01.04 - France : Le décès du P. Carré, dominicain.

À 95 ans, le P. Carré est entré jeudi 15 janvier dans cette " suprême pauvreté " qu'il évoquait en 1975, à la fin de son discours de réception à l'Académie française, celle qui conduit à la richesse de Dieu.

Ce dominicain est une figure attachante et le rencontrer devenait toujours un moment d'ouverture à la vie, sans malentendu mais aussi sans étroitesse de vue. Ordonné prêtre en 1933, il rejoint, en 1938, la Maison Saint-Dominique comme rédacteur en chef, puis codirecteur, de la "Revue des jeunes", qui fut une "bouffée" d'air pur dans le bouillonnement de la jeunesse de cette époque.

C'est à Albi qu'on le retrouve au début de la guerre, où il est soigné dans une clinique tenue par les dominicaines. Après la défaite, il continue néanmoins son travail apostolique et entre dans la Résistance. Production de faux papiers ou logement d'enfants juifs : son activité lui vaudra la Légion d'honneur, à titre militaire, et la Croix de Guerre.

En 1948, le P. Carré est nommé aumônier de l'Union nationale du théâtre et de la musique. Il remplira jusqu'en 1958 cette charge d'" aumônier des artistes " au sein d'un milieu encore mal vu de l'Église. Et il doit parfois batailler ferme avec une hiérarchie souvent pointilleuse. " Pour baptiser une strip-teaseuse de la place Pigalle ou les enfants d'un couple dont la maman était protestante, j'ai dû plus d'une fois faire intervenir le nonce Mgr Roncalli, le futur Jean XXIII, jusqu'à Rome ", racontait-il à La Croix.

En même temps, il avait conscience d'être face aux " paroissiens les plus exigeants que j'aie rencontré pendant toute ma vie ". " Les trucs, les ficelles, les fausses émotions n'ont plus de secret pour eux ", racontait-il par ailleurs en 1986 à La Vie. "Ils m'ont aidé à vivre plus profondément la Parole de Dieu. Ils m'ont habitué à dénuder tous les artifices de la prédication pour proclamer seulement, simplement, ce que je croyais et ce dont je vivais."

Il côtoie alors les grands artistes de l'époque comme Louis Jouvet ou Maurice Chevalier, qui deviendra son ami. " C'est tout de même une chose fantastique que notre amitié ", lui dira le chanteur au moment de mourir dans ses bras… " Je suis sorti de l'hôpital bouleversé par la foi totale de cet homme ", avouait le P. Carré. Mais à côté des célébrités, il y avait aussi tous les anonymes du monde du spectacle avec qui il savait toujours trouver le mot juste. " On n'accompagne pas de la même manière une femme qui fut déportée à Ravensbrück et un artiste de variété dont la vie fut passablement bouleversée. ", confiait-il encore à La Croix en 2000.

En 1959, il est chargé par le cardinal Feltin de la prédication de Carême à Notre-Dame de Paris. Un travail de prédication apprécié au point que, en 1964, il est le premier Français à prêcher les exercices spirituels au Vatican. À partir de 1966, laissant la chaire de Notre-Dame au jésuite Joseph Thomas, il devient, jusqu'en 1975, le prédicateur attitré des messes de France-Culture.

Certains cataloguent trop vite les prêtres-ouvriers ou les prêtres académiciens, regrettait-il. Ils ne comprennent pas la présence du prêtre dans des milieux qu'ils n'aiment pas. " Mais que ce soit au milieu des Immortels comme des artistes, le P. Carré se voyait d'abord comme un prêtre. Il aimait d'ailleurs à répéter cette phrase d'un autre dominicain et académicien, le P. Lacordaire : " Je suis prêtre, et je ne serai jamais que cela. ".

En effet, il devient académicien. "Ces honneurs, ce ritualisme assez désuet, ces vieux messieurs en bicorne… me paraissaient incompatibles avec le vœu de pauvreté." D'autant plus, souriait-il, qu'" on donne aux académiciens religieux les deux titres dont l'Évangile dit qu'il faut autant que possible les refuser : père et maître " ! Finalement, en 1975, les académiciens n'arrivant pas à trouver un successeur au cardinal Daniélou lui demandent de se présenter : une procédure de cooptation exceptionnelle utilisée, par exemple, pour Montherlant. Seul en lice, le P. Carré est élu par 22 voix sur 29.

Aujourd'hui, "La Croix cite cette confidence d'un jeune dominicain : " C'était un homme à l'humour inoxydable mais que je n'ai jamais entendu dire du mal de personne. J'ai appris de lui ce qu'est un prêtre : un homme qui écoute toujours, qui a un regard de bienveillance sur les gens et sur les choses. " (source : la Croix)

Pour plus d'informations : dominicains en France

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