LE CARÊME - TEMPS DE DIEU
Pour vivre de la Parole de Dieu




La signification mystique du jeûne

Il n'y a pas de Carême sans jeûne. Benoît XVI nous le rappelle dans le message de cette année. Cependant, il semble qu'aujourd'hui, beaucoup ne prennent pas le jeûne au sérieux, ou bien, s'ils le font, c'est à quelques jours et en méconnaissant son vrai but spirituel.

LE BUT SPIRITUEL DU JEUNE

Pour quelques-uns, le jeûne consiste à renoncer symboliquement à quelque chose ; pour d'autres, c'est l'observance scrupuleuse de règles alimentaires. Mais, dans les deux cas, le jeûne est rarement mis en référence avec l'effort de Carême en sa totalité. Ici comme ailleurs, pourtant, nous devons d'abord essayer de comprendre l'enseignement de l'Église.

Le jeûne ou l'absence de nourriture n'est pas une pratique exclusivement chrétienne. Elle a existé et existe encore dans d'autres religions et même en dehors de la religion, comme par exemple dans certaines thérapeutiques particulières. De nos jours, on jeûne pour toutes sortes de raisons, pour marquer la maîtrise de soi, pour garder "sa ligne", pour souligner des motifs politiques.

Le temps du Carême n'est donc pas une fin en soi. Il nous ouvre sur la mort et la résurrection du Christ. Il nous conduit avec Lui et avec nos frères dans cette union trinitaire qui est le mystère même de notre vie en Dieu. C'est en cela qu'il se distingue de tout autre temps de jeûne et de purification vécue dans d'autres confessions religieuses ou dans les pratiques des sagesses orientales. Il est une préparation au temps pascal, qui nous appelle à revivre en nous-mêmes et dans la communauté ecclésiale, la mort et la Résurrection du Seigneur.

Le contenu spécifiquement chrétien du jeûne est donc tout autre, parce qu'il nous situe dans la relation qui doit être la nôtre avec Dieu.

Au centre de la vie liturgique, comme son coeur et son sommet, se trouve Pâques. C'est la porte ouverte, que chaque année nous rappelle, sur la splendeur du Royaume du Christ, l'avant-goût de la joie éternelle qui nous attend, la gloire de la victoire qui déjà, bien qu'invisible, remplit toute la création.

LA PREMIERE ALLIANCE ET LA NOUVELLE ALLIANCE

Il nous est tout d'abord révélé dans l'interdépendance de deux événements que nous trouvons dans la Bible l'un au commencement de l'Ancien Testament, l'autre au début du Nouveau. Le premier événement est la "rupture du jeûne" par Adam, au Paradis. Il mangea du fruit défendu. C'est ainsi que le péché originel de l'homme nous est révélé.

Le Christ, nouvel Adam - et ceci est le deuxième événement - commence par jeûner. Adam fut tenté et succomba à la tentation ; le Christ fut tenté et vainquit cette tentation. La conséquence de la défaillance d'Adam a été l'expulsion du Paradis et la mort. Le fruit de la victoire du Christ a été la destruction de la mort et notre retour au Paradis.

Le manque de place nous empêche de donner ici une explication détaillée sur le sens de ce parallélisme ; mais il est clair cependant que, dans cette perspective, le jeûne nous apparaît comme quelque chose de décisif et d'une importance extrême. Ce n' est pas une simple "obligation", une coutume ; il est lié au mystère même de la vie et de la mort, du salut et de la damnation.

Au jardin de la première tentation, l'homme a refuse la vie telle que Dieu la lui offrait et la lui donnait, et a préféré une vie qui' dépende non de Dieu seul, mais d'une certaine manière, "de pain seulement". Non seulement il désobéit à Dieu et fut puni, mais il transforma sa relation même avec monde.

À vrai dire, la création lui avait été donnée par Dieu comme "nourriture", comme moyen de vie ; elle devait être communion avec Dieu ; elle avait en lui non seulement sa fin, mais sa plénitude. Le monde et la nourriture furent ainsi créés comme des moyens de communion avec Dieu, et ce n'est que reçus pour l'amour de Dieu qu'ils pouvaient donner la vie.

L'insondable tragédie d'Adam est qu'il mangea pour lui-même.

Bien plus, il mangea "à part" de Dieu, afin d'être indépendant de lui. Et s'il l'a fait, c'est qu'il croyait que la nourriture avait la vie en elle-même et que lui, en mangeant cette nourriture, pourrait être comme Dieu, c'est-à-dire avoir la vie en lui-même. Pour le dire très simplement, il mit sa foi dans la nourriture, alors que le seul objet de foi, de confiance, de dépendance est Dieu et Dieu seul. Le monde, la nourriture devinrent son Dieu, la source et le principe de sa vie ; et il on devint l'esclave. Adam, en hébreu, veut dire "l'homme" ; c'est mon nom, notre nom à tous.

JESUS EST LE PAIN DE LA VIE

L'homme d'aujourd'hui est encore Adam, l'esclave de la "nourriture", alors que tant d'autres meurent de faim. Il peut prétendre qu'il croit en Dieu, mais Dieu n'est pas sa vie, sa nourriture, celui qui embrasse toute son existence. Il peut prétendre qu'il reçoit sa vie de Dieu, mais il ne vit pas en Dieu et pour Dieu. Sa science, son expérience, la conscience qu'il a de lui-même, tout cela est bâti sur le même principe : "seulement de pain", ce qui se traduit dans notre langage contemporain, nous croyons d'abord au progrès matériel.

Au désert de la deuxième tentation, nous rappelle que seul Dieu a la Vie et est la Vie. Dans la nourriture elle-même, c'est Dieu - et non les calories - qui est le principe de vie. Ainsi, manger, être vivant, connaître Dieu et être en communion avec lui étaient une seule et même chose.

Le Christ est le nouvel Adam. Il vient pour réparer le dommage infligé à la vie par Adam, pour rendre l'homme à la vraie Vie et donc, il commence par le jeûne : "Quand il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim" (Mt 4,2).

La faim est cet état dans lequel nous nous apercevons que nous dépendons d'autre chose, quand nous ressentons le besoin urgent et nécessaire de nourriture ; cela nous montre que nous n'avons aucune vie en nous-mêmes. La faim est cette limite au-delà de laquelle ou bien je meurs d'inanition, ou bien, ayant donné satisfaction à mon corps, j'ai de nouveau l'impression d'être vivant. En d'autres ternes, le moment où se pose la question fondamentale : De quoi ma vie dépend-elle ?

Tout ceci signifie que, compris dans toute sa profondeur, le jeûne est le seul moyen pour l'homme de recouvrer sa vraie nature spirituelle. C'est un défi, non théorique mais vraiment concret, au Menteur qui a réussi à nous convaincre que nous n'avons besoin que de pain, et qui a édifié sur ce mensonge toute la connaissance, la science et l'existence humaines. Le jeûne dénonce ce mensonge et prouve qu'il en est un.

UNE NECESSAIRE RE-DECOUVERTE

Il est très significatif que ce soit lors de son jeûne que le Christ a rencontré Satan et que, plus tard, il ait dit que Satan ne peut être vaincu "que par le jeûne et la prière" (Mt 17,21). Si quelqu'un a faim et découvre alors qu'il peut être vraiment indépendant de cette faim, ne pas être détruit par elle mais, tout au contraire, la transformer en une source d'énergie spirituelle et de victoire, alors plus rien ne subsiste de ce grand mensonge dans lequel nous avons vécu depuis Adam.

Comme nous sommes loin alors de la conception courante du jeûne considéré comme un simple changement de régime ou un ensemble de choses permises ou défendues, loin de toute cette hypocrisie superficielle ! En fin de compte, jeûner ne signifie pas seulement aller jusqu'à la limite de la condition humaine qui dépend entièrement de la nourriture. Il peut devenir la découverte que cette dépendance n'est pas toute la vérité au sujet de l'homme, que la faim est avant tout et en elle-même un état spirituel et que, finalement, elle est en réalité la faim de Dieu

La catastrophe du péché réside précisément dans la victoire de la chair - l'animal, l'irrationnel, la passion en nous, - sur le spirituel et le divin. Mais le corps est glorieux, le corps est saint, si saint que Dieu lui-même s'est fait chair (Jn 1,14). Le salut et le repentir ne peuvent être mépris ou négligence du corps, mais restauration de celui-ci dans sa vraie fonction en tant qu'expression de la vie de l'esprit, en tant que temple de l'âme humaine qui n'a pas de prix.

L'ascétisme chrétien est une lutte, non pas contre le corps mais pour le corps. Pour cette raison, tout l'homme - corps, âme et esprit - se repent. Le corps participe à la prière de l'âme, de même que l'âme prie par et dans le corps.


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