LE PAPE SE REND À CHYPRE
En réponse à une invitation
C'est à une triple invitation que le Pape se rend à Chypre du 4 au 6 juin. Et leur conjugaison n'est pas sans signification d'autant qu'elles se rejoignent toutes trois.
Pour le président Demetris Christofias, il lui faut dire à la communauté internationale non seulement la partition de l'île à la suite de l'occupation militaire turque qui a séparé le nord du sud, mais surtout la destruction de tout le passé culturel millénaire depuis le 20 juillet 1974.
Lors de sa visite à Benoît XVI le vendredi 10 novembre 2006, son prédécesseur, le président Tassos Papadopoulos, avait montré des photos des destructions massives de centaines d'églises, 522 lieux de culte détruits dans la partie nord de l’île occupée par la Turquie. Presque toutes, avait-il dit au Pape, "ont été transformées en night clubs, hôtels, étables et sites militaires". Celles qui n’ont pas été transformées « se comptent sur les doigts de la main ».
Le président a révélé au terme de l’audience, lors d’une conférence de presse, que le pape avait déclaré être « extrêmement préoccupé » en voyant ces images.
Le président a invité Benoît XVI à se rendre dans son pays. Selon le chef d’Etat, le pape n’avait pas refusé l’invitation mais alors n’a pas pu confirmer une éventuelle visite non plus.
Le président Papadopoulos a précisé que cette visite pourrait avoir lieu si Benoît XVI se rend en Terre Sainte. Chypre est la patrie de l’apôtre Barnabée et un lieu important dans la vie de saint Paul.
Au cours du traditionnel échange de cadeaux, le président de Chypre a offert au Pape une icône du XIXe siècle venant d’une église détruite dans la zone occupée par la Turquie ainsi qu’un livre contenant 300 photos d’églises détruites.
Deux ans plus tard, lors de son discours au Corps diplomatique du 7 janvier 2008, le Pape avait évoqué la division de l'île en disant : « J'exprime le souhait que, dans le contexte de l'Union européenne, on n'épargne aucun effort pour trouver une solution à une crise qui dure depuis trop longtemps ».
Dans son discours du 8 janvier 2009, le Pape avait relevé la direction positive prise par le nouveau président, Demetris Christofias d'ouvrir des négociations avec les leaders turcs.
« Les aspirations à la paix, disait Benoît XVI, sont vives à Chypre, où ont repris les négociations en vue de justes solutions aux problèmes liés à la division de l'Île ».
En effet, en janvier 2009, le président Christofias ouvrait ces négociations en vue d'une réunification de l'île, avec le leader chypriote turc, Mehmet Ali Talat, afin de mettre en place un conseil consultatif pour préserver le patrimoine culturel de l'île.
Demetris Christofias, lors de sa visite au Vatican le vendredi 27 mars 2009, a renouvelé cette invitation rappelant au Pape «la condition de nombreuses églises et édifices chrétiens du nord de l'île».
Tout autant que l'intégration à l'Union Européenne, le soutien du Pape n'est donc pas négligeable pour le président chypriote grec.
Du côté de l'Église orthodoxe de Chypre, il en est de même. Les Églises ont besoin de se soutenir les unes les autres, d'autant que l'Église du Chypre connaît bien des difficultés en raison de la division de l'île.
Par exemple, la décision d’Ankara de refuser à l’archevêque grec orthodoxe de Chypre Chrysostome II une visite au patriarche oecuménique de Constantinople Bartholomé Ier du 17 au 21 août 2007 a contribué à envenimer les relations entre les communautés grecque orthodoxe et chypriote turque musulmane. Chrysostome a finalement déclaré qu’« il n’y a pas de divergences entre les Grecs orthodoxes et leurs frères chypriotes turcs musulmans », et que le réel problème provenait de l’« interférence d’Ankara, qui bloque toute tentative d’intégration des deux communautés par respect réciproque ».
La réunion du 21 février 2007 entre Chrysostome II et le ministre des Affaires religieuses de la République chypriote turque autoproclamée, Ahmet Yonluer, la première en 33 ans, a fait naître l’espoir d’une amélioration du dialogue inter-religieux.
Dans la République chypriote turque autoproclamée, qui se définit elle-même comme « laïque » selon le modèle turc, la Constitution garantit formellement la liberté religieuse, mais les autorités n’octroient aux prêtres chrétiens qu’une permission limitée à célébrer la messe et font obstacle aux visites des églises et des monastères par les fidèles.
Les relations avec les autres Églises se multiplient depuis quelques années. Pour la première fois de l'histoire, l'archevêque Chrysostome II s'est rendu à Rome du 12 au 16 juin 2007, où il a rencontré le pape Benoît XVI.
À l’issue de sa réception chaleureuse par Benoît XVI au Vatican, du 12 au 16 juin 2007, l'archevêque avait souligné la position très favorable de Benoît XVI sur le rapprochement avec les Églises orthodoxes.
En raison même du statut canonique de l'Église de Chypre, une Église autonome, Chrysostomos II pouvait en prendre acte et se risquer à un pronostic, ce qu'il ne manqua pas de faire : « Chypre pourrait être une solution » si Benoît XVI et Alexis II, patriarche de Moscou, décidaient de se rencontrer en un lieu neutre, qui ne soit ni Moscou ni Rome.
« Nous sommes ouverts à toutes les propositions et nous espérons sincèrement que les contacts aboutiront. »
Lors de cette rencontre entre le Pape et l'Archevêque, Benoît XVI avait explicitement déclaré son attente :
" Il est urgent de trouver un langage nouveau pour proclamer la foi qui nous unit, un langage commun, un langage spirituel capable de transmettre fidèlement les vérités révélées, nous aidant ainsi à reconstruire, dans la vérité et la charité, la communion entre tous les membres de l'unique Corps du Christ. Cette nécessité que nous ressentons tous nous engage à poursuivre sans nous décourager le dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe dans son ensemble; celle-ci nous pousse à utiliser des instruments valides et stables, afin que la recherche de la communion ne soit pas discontinue et occasionnelle dans la vie et dans la mission de nos Eglises.
" Face à l'immense tâche qui nous attend, et qui va au-delà des capacités humaines, il est nécessaire de s'en remettre avant tout à la prière. Cela n'ôte rien au fait qu'il faille mettre en acte, également aujourd'hui, tous les moyens humains utiles susceptibles de servir cet objectif. Dans cette optique, je considère votre visite comme une initiative plus que jamais utile pour nous faire progresser vers la pleine unité voulue par le Christ.
..." Merci donc, Béatitude, d'être venu me rendre visite avec les frères qui vous accompagnent: merci pour cette présence qui exprime de façon concrète le désir de rechercher ensemble la pleine communion. Pour ma part, je vous assure que je partage ce même désir, soutenu par une ferme espérance."
L'Archevêque lui répondit :" C'est la troisième fois que nous nous rencontrons, après les inoubliables obsèques de votre bien-aimé prédécesseur, le Pape Jean-Paul II de bienheureuse mémoire, et l'heureuse cérémonie de votre intronisation sur ce Trône apostolique, auquel aspire tout l'oekoumène chrétien avec de grandes espérances en attendant que celui qui le préside, le sage théologien, l'inlassable pasteur et le dynamique guide ecclésiastique, accomplisse des gestes de dialogue, de réconciliation, de rapprochement et d'amour.
..." Nous demandons votre soutien à travers l'arme invincible de la prière fraternelle, mais également à travers votre cri paternel pour la défense des droits imprescriptibles de l'Eglise-sœur antique et apostolique de Chypre, ce carrefour des peuples, des religions, des langues, et des civilisations de la Méditerranée et du Moyen-Orient.
" Nous désirons vous avoir à nos côtés! A travers nous, le saint Apôtre Barnabé invite son frère aîné, le bienheureux Apôtre Pierre, à visiter pour la première fois son humble demeure, à en être l'hôte, à s'y sentir chez lui, à la bénir! Votre Sainteté, nous vous attendons, en tant qu'Evêque du Siège romain qui préside à la charité, dans la Chypre du dialogue, de la démocratie, de la dignité, de la foi, du monachisme, de l'hospitalité, des monuments et des œuvres d'art! Daignez venir et donnez-nous l'occasion de répondre à votre hospitalité fraternelle de ces splendides jours que nous avons vécus dans la Ville éternelle!"
Une déclaration commune fut alors signée : "Nous, Benoît XVI, Pape et Evêque de Rome, et Chrysostomos II, Archevêque de Nuova Giustiniana et de tout Chypre, rendons grâce avec joie à Dieu pour cette rencontre fraternelle, dans la foi commune dans le Christ ressuscité, emplis d'espérance pour l'avenir des relations entre nos Eglises."
En raison même du statut canonique de l'Église de Chypre, une Église autonome vis-à-vis de Constantinople, Chrysostomos II pouvait se risquer à un pronostic, ce qu'il ne manqua pas de faire : « Chypre pourrait être une solution » si Benoît XVI et Alexis II, patriarche de Moscou, décidaient de se rencontrer en un lieu neutre, qui ne soit ni Moscou ni Rome. « Nous sommes ouverts à toutes les propositions et nous espérons sincèrement que les contacts aboutiront. »
Dans ce contexte, la réunion, toujours à Chypre, du 16 au 23 octobre 2009, de la « Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe » avait alimenté des rumeurs sur la proximité d’une telle rencontre au sommet.
Du côté des Églises catholiques orientales. Dans un autre sens, la promulgation de l'Instrument de travail du Synode consacré à l'Église au Moyen Orient, ne pouvait avoir meilleur site que Chypre.
D'une certaine manière, c'est le seul lieu que l'on pourrait dire "neutre" dans une région dominée par l'Islam et où les chrétiens sont minoritaires, voire même absents.
C’est d’Irak qu’est venue, en janvier 2009, la demande d’un Synode sur l’Église au Proche-Orient, par la voix de Mgr Louis Sako, archevêque chaldéen de Kirkouk, alors en visite ad limina à Rome. Et Benoît XVI leur a répondu lors de sa rencontre avec les évêques latins d'Orient, le 19 septembre 2009.
Les chrétiens chypriotes, catholiques, de rite latin et grec, maronites, orthodoxes figurent une chrétienté en miniature, déchirés tout autant qu’unis par deux mille ans d’histoire. Benoît XVI les rencontrera tous lors de sa visite.
Les thèmes du Synode : montée des fondamentalismes, émigration et exil des chrétiens, difficultés et modalités du dialogue islamo-chrétien, statut des patriarches, statut réciproque des Orientaux et des Latins dans l'Église romaine, tout autant que les défis communs aux Églises orientales, catholiques et non-chalcédonniennes : fortes diasporas, nécessaire approfondissement de la foi, besoin de reconnaissance, tous ces thèmes sont autant de défis qui seront tous présents à Chypre.
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