Pour vivre au rythme de l'Eglise universelle.
Les Églises orientales catholiques
Assemblée spéciale pour le Moyen Orient
du 10 au 24 octobre 2010 à Rome

 
LES DIVERGENCES ET LES RUPTURES    


L'histoire séculaire des Églises orientales ne peut ni ne doit se lire en termes d'hérésies ou de schismes. Au travers de leurs cultures différentes, philosophiques ou sociales, perses, helléniques, africaines, des communautés chrétiennes ont voulu répondre à la question du Seigneur : "Pour vous qui suis-je ?", question qui les mettait au seuil du mystère. Les conciles, sous cet angle de vue, sont alors en même temps un approfondissement doctrinal et une volonté de revenir à l'unité dans la vérité.

POUR VOUS QUI SUIS-JE ?

Dès les premières heures de l'Église, cette question que pose le Seigneur à ses disciples, sera centrale, car de la réponse dépend toute l'orientation de la mission que les apôtres, puis les communautés chrétiennes réalisent là où ils vivent.

Ces questions se posaient à partir des affirmations comme des faits et gestes de Jésus, déconcertants à vues humaines. Elles concernaient surtout : la nature divine en relation avec la nature humaine de Jésus, les relations entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit et l'Incarnation.

Cet approfondissement trouvera, au cours du temps, des réponses diverses, au travers des philosophies, des cultures, et même des situations politiques. Ce développement doctrinal marquera les divergences dès les premiers conciles oecuméniques où les évêques recherchent l'unité dans la foi.

DÈS L'ÂGE APOSTOLIQUE

On le constate dès l'époque apostolique. La lecture des Actes des Apôtres nous fait même connaître les répercussions de ce que vivait, dans la diaspora, la communauté juive mise au courant des événements qui entouraient la brève prédication de trois années et le message de Jésus. (Actes. 18.24)

Un Juif, nommé Apollos, était arrivé à Éphèse, une importante ville portuaire en relation avec le grand centre qu'était Alexandrie.

"Un Juif, né à Alexandrie, était arrivé à Éphèse. C'était un bon orateur, qui connaissait très bien des Écritures. Il avait été instruit quant au chemin du Seigneur et, plein d'enthousiasme, il annonçait et enseignait avec exactitude ce qui concerne Jésus."

"Mais il ne connaissait que le baptême de Jean. Il se mit à parler avec assurance dans la synagogue. Après l'avoir entendu, Priscile et Aquila le prirent avec eux pour lui expliquer plus exactement le chemin de Dieu."

Par la suite, à cause d'Apollos, saint Paul sera amené à préciser plusieurs de ses affirmations. Nous le constatons dans 1 Corinthiens 1.12 - 3.4 - 4.6.

DURANT LES PREMIERS SIÈCLES

Les Pères du premier concile de Nicée (325) parlèrent de ces assemblées conciliaires comme relevant de la coutume, instituée durant des accalmies tolérantes que l'Église connues entre les périodes de persécutions. Mais la tenue d'un concile universel était pratiquement impossible, à quoi s'ajoutaient les distances des déplacements.

On constate bien avant la paix constantinienne, plusieurs "conciles" locaux se tiennent à la fin du IIème siècle, en particulier en Asie Mineure. Même durant les persécutions, à Carthage vers 220, à Synnada et Iconium vers 230, à Antioche de 264 à 269, des réunions concilaires réunirent des évêques de plusieurs provinces.

La paix de l'Église favorisa l'essor de ces institutions, nécessaires pour éviter des divergences dans l'interprétation de la Révélation, difficile à cerner sans réflexion dans la Parole du Christ, dans les évangiles et dans les lettres des apôtres. L'objectif est toujours, au-delà des circonstances précises de la réunion, de conforter et d'harmoniser la foi d'une Église particulière, de maintenir l'unité ou de la rétablir dans la vérité.

En effet des facteurs culturels et politiques contribuaient à séparer les Églises locales ne serait-ce que par l'influence de la pensée et de la démarche théologique d'Alexandrie ou d'Antioche, où se développent très vite deux théologies, disons plutôt deux christologies, à partir de deux courants judéo-helléniques. Les conciles des 4ème et 5ème siècles en seront profondément marqués.

Mais, dans le même temps, le christianisme s'est largement répandu hors des frontières de l'empire romain, en particulier dans l'empire perse. Une théologie s'y épanouit, éloignée des présupposés philosophiques des courants helléniques et des langues utilisées. Nous voyons s'épanouir ainsi une "lecture poétique", au sens profond du terme, dont Aphraate le Syrien, sera l'expression. Quelques années plus tard il faudra aussi tenir compte de l'école de Nisibe qui s'affirme au synode de Ctésiphon dans la traduction syriaque du texte original grec du Concile de Nicée.

" La Bonne Nouvelle y est transmis dans le contexte spécifique des milieux araméens de Mésopotamie. et plus tard, dans celui de l'empire perse en général. Les traductions conciliaires de "l'hypostase" grecque et du qnoma" araméen peuvent devenir un risque d'incompréhension." (Herman Teule) Et cette incompréhension réciproque sera ressentie dès le premier concile de Nicée.

L'Église Apostolique Arménienne, en 451, connaîtra les mêmes incompréhensions que l'Église d'Orient en Perse.

LE DIALOGUE POUR LA VÉRITÉ ET L'UNITÉ

Le Synode des Églises du Moyen-Orient , en octobre, n'est pas qu'une simple recherche d'un chemin fraternel vers l'Unité dont l'Église d'Occident a eu le souci permanent. Il y a risque que cette unité reste "superficielle" si elle ne conduit pas à la Communion. Le projet des "lineamenta" le dit clairement. Cette Assemblée spéciale veut aller plus avant dans le chemin de la Communion ecclésiale.

Les efforts du Moyen-Age en ont montré les limites, même au concile de Florence (1439-1441). Les retours qu'espéraient les diverses Unions promues dans les siècles suivants ont conduit à un uniatisme qui ne peut nous laisser indifférent même si l'on en constate les limites et surtout l'appauvrissement des richesses théologiques et liturgiques des Églises d'Orient, en raison d'une latinisation intensive.

Durant les dernières décennies du 20ème siècle, dans l'esprit même de Vatican II, on assiste à un dialogue fructueux entre les Églises orientales et l'Église Catholique, comme des Églises orientales entre elles.

Plusieurs faits en témoignent. Citons-en deux exemples : la déclaration commune de l'Église romaine et de l'Église Apostolique Arménienne en 1996 et, d'autre part, la déclaration commune de l'Église romaine et de l'Église d'Orient.

Avec l'Église apostolique arménienne

"Le Pape Jean-Paul II et le Catholicos Karékine Ier prennent acte de la profonde communion spirituelle qui les unit déjà, ainsi que les évêques, le clergé et les fidèles de leurs Églises...constatent avec joie que les récents développements des relations œcuméniques et que les discussions théologiques menées dans un esprit d’amour chrétien et de fraternité, ont dissipé de nombreux malentendus hérités des controverses et des désaccords du passé. De tels dialogues et rencontres ont contribué à parvenir à une situation salutaire de compréhension réciproque et au rétablissement d’une communion spirituelle plus profonde, fondée sur la foi commune dans la Sainte-Trinité, que les deux Églises ont reçue à travers l’Évangile du Christ et dans la Sainte Tradition de l’Église.

" Ils saluent avec une satisfaction particulière le grand progrès réalisé par leurs Églises dans leur recherche commune de l’unité dans le Christ, le Verbe de Dieu fait chair. Dieu parfait dans sa divinité, homme parfait dans Son humanité, Sa divinité est liée à Son humanité dans la Personne du Fils Unique de Dieu, dans une union qui est réelle, parfaite, sans confusion, sans altération, sans division, sans aucune forme de séparation.

" La réalité de cette foi commune en Jésus Christ et dans la succession même du ministère apostolique, a été parfois voilée ou ignorée. Des facteurs linguistiques, culturels et politiques ont largement contribué à l’apparition de divergences théologiques qui ont trouvé une expression dans la terminologie utilisée pour la formulation de leur doctrine.

" Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II et Sa Sainteté Karékine Ier ont exprimé la ferme conviction que, en vertu de la foi commune et fondamentale en Dieu et en Jésus Christ, et en vertu de la déclaration présente, les controverses et les divisions regrettables qui ont parfois découlé des façons différentes d’exprimer cette foi, ne devraient plus continuer à influer de façon négative sur la vie et sur le témoignage de l’Église d’ aujourd’hui."

..." La communion qui existe déjà entre les deux Églises, l’espérance et l’engagement en vue de parvenir à la pleine communion entre eux, devraient pousser à établir des contacts plus fréquents et un dialogue plus régulier et plus profond, de façon à atteindre un plus haut degré de compréhension réciproque et le rétablissement du partage de leur foi et de leur service."

Avec l'Église d'Orient

En 1971, la fondation catholique autrichienne Pro Oriente prit l'initiative d'organiser une série de consultations non-officielles entre des théologiens appartenant aux différentes Églises non-chalcédoniennes, l'Église Catholique et des experts neutres. L'objectif de la consultation de 1994 était de parvenir à une réévaluation de la position théologique de l'Église d'Orient, plus spécialement sa christologie.

Les discussions sur une diversité de thèmes comme la christologie de Nestorius ou la théologie de l'Eglise d'Orient ont certainement contribué à une meilleure compréhension entre l'Église d'Orient et ]'Église Catholique. En novembre de la même année 1994, le Patriarche Mar Dinkha IV et le Pape Jean Paul II signèrent une déclaration, dans laquelle ils professèrent leur foi commune en Jésus Christ, parfait dans sa divinité et dans son humanité, unies en une seule personne. Le texte sans utiliser le vocabulaire technique du passé (comme les termes : nature, hypostase et qnoma)), met en valeur les intuitions profondes des deux traditions, la préservation des propriétés des deux natures tout comme leur union inséparable.

" Héritiers et gardiens de la foi reçue des Apôtres, telle que nos Pères communs l'ont formulée dans le Symbole de Nicée, nous confessons un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père de toute éternité et qui, lorsque les temps furent accomplis, est descendu du ciel et s'est fait homme pour notre salut. Le Verbe de Dieu, deuxième personne de la Sainte-Trinité, s'est incarné par la puissance du Saint-Esprit en assumant de la Sainte Vierge Marie une chair animée d'une âme raisonnable, qu'il s'est unie indissociablement dès l'instant de sa conception.

" Notre Seigneur Jésus Christ est donc vrai Dieu et vrai homme, parfait dans sa divinité et parfait dans son humanité, consubstantiel au Père et consubstantiel à nous en tout, hormis le péché. Sa divinité et son humanité sont unies en une personne, sans confusio n ni changement, sans division ni séparation.

" En lui a été préservée la différence des natures de la divinité et de l'humanité, avec toutes leurs propriétés, facultés et opérations. Mais loin de constituer «un autre et un autre», la divinité et l'humanité sont unies dans la personne du même et unique Fils de Dieu et Seigneur Jésus Christ, objet d'une unique adoration.

" Le Christ n'est donc pas un «homme ordinaire» que Dieu aurait adopté pour y résider et pour l'inspirer comme chez les justes et les prophètes. Mais le même Verbe de Dieu, engendré par le Père avant tous les siècles, sans commencement selon sa divinité, dans les derniers temps est né d'une mère, sans père, selon son humanité.

" L'humanité à laquelle la bienheureuse Vierge Marie a donné naissance a été depuis toujours celle du Fils de Dieu lui-même. C'est la raison pour laquelle l'Église assyrienne de l'Orient prie la Vierge Marie en tant que «Mère du Christ notre Dieu et Sauveur». À la lumière de cette même foi, la tradition catholique s'adresse à la Vierge Marie comme «Mère de Dieu» et également comme «Mère du Christ». Les uns et les autres nous reconnaissons la légitimité et l'exactitude de ces expressions de la même foi et nous respectons la préférence de chaque Église dans sa vie liturgique et sa piété.

" Telle est l'unique foi que nous professons dans le mystère du Christ. Les controverses du passé ont conduit à des anathèmes, portant sur des personnes et sur des formules. L'Esprit du Seigneur nous donne aujourd'hui de mieux comprendre que les divisions ainsi provoquées reposaient en bonne partie sur des malentendus.

" Cependant, quelles qu'aient été nos divergences christologiques, nous pouvons aujourd'hui nous retrouver unis dans la confession d'une même foi au Fils de Dieu qui s'est fait homme pour que les hommes puissent devenir enfants de Dieu par sa grâce. Nous voulons désormais témoigner ensemble de cette foi en celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie, en l'annonçant de manière appropriée à nos contemporains, afin que le monde croie à l'Évangile du salut."

Mais il faut reconnaître que cette déclaration commune fut récusée par une partie des évêques de l'Église assyrienne d'Orient et fut accueillie dans l'indifférence et la non-connaissance d'un grand nombre d'évêques catholiques latins.


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