D'ACCORDS EN ACCORDS
Depuis sa constitution en 1938, suivant en cela sa Déclaration
de Foi qui l'invite à «travailler à l'unité du corps du Christ»,
l'Eglise Réformée de France s'est résolument
engagée dans le dialogue interconfessionnel. Un des acquis
récents les plus significatifs de cet effort est sans doute
la «Concorde de Leuenberg» signée en 1973 et par laquelle
les Églises Réformées, Unies et Luthériennes d'Europe se déclarent
en pleine communion ecclésiale.
En 1988, la Fédération des Églises Évangéliques en RDA, l'Église
Évangélique d'Allemagne, déjà signataires de la «Concorde
de Leuenberg», signent avec l'Église d'Angleterre un accord
du même type: l'«Affirmation de Meissen».
En 1990, par l'intermédiaire du Comité Permanent Luthéro-réformé,
les Eglises Réformées et Luthériennes
proposent à l'Église d'Angleterre d'étendre les dispositions
de l'«Affirmation de Meissen» aux Églises membres du Comité
Permanent Luthéro-Réformé. Suite à cette proposition, il est
décidé d'ouvrir un dialogue spécifique entre le Comité Permanent
Luthéro-Réformé et l'Église d'Angleterre en vue d'aboutir
à une affirmation commune similaire à l'«Affirmation de Meissen».
En 1992, une première rencontre a lieu à Versailles, année
où est conclu entre les Églises Anglicanes des îles britanniques
et les Églises Luthériennes de Scandinavie et des Pays Baltes
l'«Accord de Porvoo» dont la déclaration finale présente une
structure identique à celles de Meissen et de Reuilly.
L'accord de Reuilly, signé
en 2000, porte en soi le signe même de la difficulté
d'un dialogue, menée avec un sincère désir
d'unité et de communion, mais qui bute sur des questions
fondamentales aux yeux de telle ou telle Eglise, même
au sein de celles qui sont issues de la Réforme. Nous
empruntons ici les réflexions faites par le pasteur
Gill Daudé (BIP juin 2001) à l'occasion de signature
d'un accord de communion avec les Eglises anglicanes et d'Irlande
et les 4 Eglises luthéro-réformées françaises.
... " Essayons de nous y retrouver dans la forêt
des accords ecclésiaux. Cette forêt n'est pas
vraiment vierge. Est-il nécessaire de rappeler que
les Anglicans se sont engagés, dès les origines,
dans le mouvement oecuménique ?
D'ACCORDS EN ACCORDS
Déjà en 1888, ils proposaient une unité
de toutes les Eglises autour de 4 points : les Ecritures,
les confessions de foi anciennes, les sacrements et l'épiscopat.
Avec les Anglicans, l'unité est en marche depuis longtemps.
Et depuis longtemps aussi elle ne signifie pas uniformité
mais reconnaissance mutuelle comme étant chacun pleinement
l'Eglise de Jésus-Christ.
Ces accords sont donc le fruit n'années de dialogue
qui cherchent à tenir ensemble fidélité
à l'Evangile et avancement vers des marques visibles
de l'unité de l'Eglise.
Au plan international d'abord : dialogue entre Anglicans et
Fédération Luthérienne mondiale depuis
1972 et Alliance Réformée Mondiale depuis 1981.
Et depuis quelques années, ils se traduisent au plan
"local", c'est-à-dire dans diverses régions
du monde. Ainsi, des accords luthériens-épiscopaliens
(anglicans-américains) sont signés en Amérique,
ouvrant la pleine communion et l'échange des ministères
entre ces deux Eglises, y compris donc la participation réciproque
aux ordinations.
Depuis 1982, les rapports de la Commission internationale
anglicane-catholique (ARCIC) se succèdent aussi : la
doctrine eucharistique, ministère et ordination, le
Salut et l'Eglise, l'Eglise comme communion, 'lautorité
dans l'Eglise.
Et nous arrivons à la déclaration commune de
Porvoo.
PORVOO - D'accord sur tout.
L'affirmation commune de Porvoo fut approuvée en 1992
et ratifiée par chacun des Eglises anglicanes britanniques
et irlandaises d'un côté, luthériennes
nordiques et baltes de l'autres : Danemark, Angleterre, Irlande,
Norvège, Suède, Pays de Galle, Ecosse, Estonie,
Finlande, Lettonie et Lithanie.
Elle est caractérisée par l'accueil mutuel à
l'eucharistie, l'accueil des membres respectifs des Eglises,
mais surtout par la reconnaissance et l'échange mutuel
des ministres (évêques, prêtres et diacres),
la particpation aux ordinations des autres Eglises, notamment
épiscopales, et des consultations conciliaires communes
sur des points touchant à la foi et à la constitution
de l'Eglise.
Mais ce n'est pas une fin en soi, dit l'accord. Il s'agit
pour ces Eglises de toujours plus concrétiser, vivre
et élargir cette pleine communion.
La particularité de Porvoo, c'est que cette affirmation
commune est signée par des Eglises qui ont en commun
un ministère épiscopal et sa succession historique,
épiscope, supervision pastorale au niveau local et
supra-local. Il n'est qu'un signe de la succession apostolique
de toute l'Eglise, mais un signe assez fort pour être
nécessaire au témoignage et à la sauvegarde
de l'unité et de l'apostolicité de l'Eglise.
MEISSEN - D'accord sur presque tout.
Cet accord entre Anglicans britaniques et protestants allemands
(Luthériens, Réformés et Unis de l'Est
et de l'Ouest) avait conduit à l'hospitalioté
eucharistique réciproque et à la reconnaissance
des ministères, mais restait en retrait sur l'échange
des ministères et la succession apostolique.
En effet, pour les Anglicans, il fallait une étape
supplémentaire pour arriver à une totale "réconcliation
des Eglises et des ministères" : la pleine unité
visible incluait pour eux la succession historique de lépiscopat.
Cette étape franchie à Porvoo ne l'était
pas à Meissen car le protestantisme allemand ne s'y
reconnaissait pas.
Cependant la succession apostolique était pour tous
le retour constant au témoignage apostolique par tous
les croyants, le ministère ordonné en témoignait
et en était un point de focalisation. L'accord était
donc assez fort pour admettre une hospitalité réciproque
à la Cène et une reconnaissance mutuelle des
ministères.
REUILLY - D'accord sur presque, presque
tout.
Les Eglises protestantes françaises auraient pu s'associer
aux Allemands et simplement signer l'accord de Meissen. Mais
les situations sociologiques des deux protestantismes sont
tellement différentes qu'il valait mieux, dans un premier
temps, traduire cette communion de manière spécifique.
Il a donc fallu surmonter les disparités sociologiques
entre les Anglicans britanniques et iralndais d'un côté
et les luthéro-réformés français
de l'autre, ainsi que la disparité théologique
avec des Eglises anglicanes pour qui la question des ministères
et la succession épiscopale sont essentielles.
Même si chacune de nos Eglises se reconnaît maintenant
un ministère épiscopal, dans ses formes personnelle,
collégiale et communautaire, elles butent sur l'exercice
du ministère épiscopal historique et sa succession
auxquels tiennent les Anglicans.
Ce travail qui reste à faire n'hypothèque cependant
toute la reconnaissance acquise. Sur tout le reste on est
d'accord, même si on le formule différemment.
Et tout cela est ratifié et validé par chacune
des Eglises concernées. Prédication, sacrements,
accueils de nos membres respectifs, on peut vivre ainsi des
cultes communs avec participation des ministres, des échanges
de services pastoraux, des jumelages, des services communs
et toute activité qui peut resserrer les liens de communion.
Même si pour l'instant la reconnaissance mutuelle de
nos ministères dans chacune de nos traditions n'entraîne
pas pour les Anglicans leur interéchangeabilité,
avec cet accord un pas décisif est franchi.
CONSENSUS, CONVERGENCES
ET DIVERGENCES
La déclaration de Reuilly ne peut être pleinement
étudiée dans le cadre de cette fiche. Vous pouvez
par vous-même l'étudier dans le texte intégral
qui termine cette fiche. Notons quelques points qui ont fait
l'objet des réflexions des synodes protestants qui
l'ont suivie.
Consensus
Les éléments de consensus s'appuient tous sur la définition
de l'Église reprise par toutes les confessions réformées à
la suite de la Confession d'Augsbourg: «L'Église est l'assemblée
de tous les croyants auprès desquels l'Évangile est prêché
purement et les saints sacrements administrés conformément
à l'Évangile. Pour que soit assurée l'unité véritable de l'Église
chrétienne, il suffit d'un accord unanime dans la prédication
de l'Évangile et l'administration des sacrements conformément
à la Parole de Dieu» (CA VII, traduction de la version allemande).
Cela signifie que pour l'Église d'Angleterre comme pour les
Églises Réformées ou Luthériennes, l'Église ne s'interpose
pas entre le Christ et le croyant, mais qu'elle est dans le
même temps l'assemblée des croyants et l'instrument fidèle
et transparent de la Parole de Dieu.
Convergences
Il y a lieu d'être particulièrement attentif à la manière
dont la diversité des traditions est envisagée : «La pleine
unité visible ne doit pas être confondue avec l'uniformité:
l'unité du Christ n'existe pas en dépit de la diversité ou
en opposition avec elle, mais elle est donnée avec et dans
la diversité... Les diversités qui sont enracinées dans le
témoignage biblique, les traditions théologiques, les spiritualités,
les liturgies et les expressions du ministère, et dans les
divers contextes culturels, éthniques ou historiques, font
partie intégrante de la nature même de la communion.»
Le protestantisme réformé français comme ceux qui plaident
depuis longtemps pour un oecuménisme de la différence ne pourront
que se réjouir de ce que ces idées aient fini par faire leur
chemin.
Divergences
Dans cet état d'esprit, l'affirmation tente de tracer des
lignes de convergence à partir du point sur lesquels le dialogue
Réformé-Anglican a jusque là achoppé, à savoir une conception
de l'apostolicité et donc d'une pleine unité visible de l'Église
fondée sur la succession des évêques.
Ceci explique que l'Église d'Angleterre pose comme une étape
ultérieure du dialogue qu'elle appelle «réconciliation des
Églises et des ministères» «la constitution d'un ministère
réconcilié et commun, dans la succession épiscopale historique,
allant de pair avec la mise en place de formes collégiales
et conciliaires de vigilance pastorale» (§ IV.B.27).
Le chapitre VI est une tentative de rapprochement par petites
touches des conceptions Anglicanes, Réformées et Luthériennes
en la matière. Il se termine par les affirmations selon lesquelles:
- les luthériens et les réformés «peuvent reconnaître dans
la succession épiscopale historique un signe de l'apostolicité
de l'Église», mais «ne la considèrent pas comme une condition
indispensable à la pleine unité visible» (§ VI.B.38),
- «les anglicans reconnaissent de plus en plus qu'une continuité
dans la foi, le culte et la mission apostolique a été préservée
dans des Églises qui n'ont pas retenu la succession épiscopale
historique.» (§ VI.B.39)
La conséquence pratique la plus importante de cette insuffisante
convergence est que la pleine interchangeabilité des ministres,
telle qu'elle est pratiquée entre réformés et luthériens depuis
la Concorde de Leuenberg, est seulement proposée comme un
objectif à atteindre dans la poursuite du dialogue.
D'où les réserves formulées par les Eglises
protestantes réformées :
- a) En ce qui concerne l'apostolicité, l'Affirmation semble
concéder le caractère de visibilité historique à la seule
succession des évêques. Il y a d'autres signes historiquement
visibles de la participation d'une Église à la succession
apostolique.
- b) Pour les réformés, le signe le plus tangible de la succession
apostolique ne réside pas dans la chaîne des évêques, mais
dans la transmission de génération en génération des Écritures
en tant qu'elles sont le véhicule premier du témoignage évangélique
dont les apôtres ont été chargés. Aussi le Synode Régional
soutient qu'«une certaine continuité dans la foi, le culte
et la mission apostolique» n'a pas seulement été préservée,
mais que, comme le confesse sa Déclaration de Foi, «avec ses
pères et ses martyrs, avec toutes les Églises issues de la
Réforme», l'Eglise Réformée de France n'a jamais cessé d'affirmer
«la perpétuité de la foi chrétienne», s'incrivant ainsi pleinement
dans la continuité de la foi, du culte et de la mission apostolique.
Il n'en reste pas moins que la grande avancée de Reuilly,
c'est que chacun reconnaît l'autre avec ses propres
formulations de foi et son propre vécu ecclésial
comme une légitime et pleine expression de l'Eglise
de Jésus-Christ.
TEXTE DE LA DECLARATION
Voici in extenso," l'Affirmation commune de Reuilly"
ratifiée à Paris, le 1er juillet 2001, lors d'un culte solennel.
Elle avait été ratifiée à Cantorbery
fin juin.
"Appelés à témoigner et à servir
"
..." Nous, Eglise de la Confession d'Augsbourg d'Alsace
et de Lorraine, Eglise Evangélique Luthérienne de France,
Eglise Réformée d'Alsace et de Lorraine, Eglise Réformée de
France, Eglise d'Angleterre, Eglise d'Irlande, Eglise Episcopalienne
Ecossaise, et Eglise au Pays de Galles, sur la base de notre
accord fondamental dans la foi, de notre compréhension commune
de la nature et de la raison d'être de l'Eglise, et de notre
convergence sur l'apostolicité de l'Eglise et le ministère
décrits dans les chapitres II à IV de l'Affirmation commune
de Reuilly,
faisons les déclarations et prenons les engagements suivants,
ces déclarations et ces engagements s'appelant les uns et
les autres :
A. Nous reconnaissons...
(I) Nous reconnaissons nos Eglises respectives comme appartenant
à l'Eglise de Jésus-Christ, une, sainte, catholique et apostolique
et participant authentiquement à la mission apostolique du
peuple de Dieu tout entier.
(II) Nous reconnaissons que dans toutes nos Eglises la Parole
de Dieu est prêchée authentiquement et que les sacrements
du baptême et de l'eucharistie sont fidèlement administrés
(note 1).
(III) Nous reconnaissons que toutes nos Eglises partagent
la confession commune de la foi apostolique.
(IV) Nous reconnaissons que nos ministères ordonnés respectifs
sont donnés par Dieu comme des instruments de grâce en vue
de la proclamation de la Parole et de la célébration des sacrements.
(V) Nous reconnaissons que nos ministères ordonnés respectifs
possèdent non seulement la vocation intérieure de l'Esprit
mais aussi le mandat du Christ par l'intermédiaire de l'Eglise,
et nous attendons le jour où l'unité toujours plus visible
de nos Eglises rendra possible l'interchangeabilité de nos
ministères.
(Vl) Nous reconnaissons qu'une vigilance pastorale personnelle,
collégiale et communautaire (episcopè) est incarnée et exercée
dans toutes nos Eglises dans des formes variées, comme un
signe visible qui exprime et sert l'unité de l'Eglise et la
continuité dans la vie, la mission et le ministère apostoliques.
B. Nous nous engageons...
Nous nous engageons à partager une vie et une mission communes.
Nous ferons tout pour resserrer notre communion dans tous
les domaines possibles de la vie chrétienne et du témoignage,
de telle manière que tous les membres de nos communautés puissent
progresser ensemble sur la voie de la pleine unité visible.
Nous nous accordons sur les prochaines étapes que voici :
(I) Chercher des moyens appropriés pour partager une vie commune
de mission et de service, prier les uns avec les autres et
les uns pour les autres, oeuvrer en vue du partage des ressources
spirituelles et humaines ;
(II) Accueillir les membres de nos Eglises respectives à la
célébration des cultes et des sacrements, et les faire bénéficier
de leurs services pastoraux ;
(III) Accueillir les membres dans la vie des communautés locales
de nos Eglises respectives ;
(IV) Encourager des cultes communs. Quand un culte avec Sainte
Cène est jugé approprié, il peut dépasser une simple hospitalité
eucharistique offerte à des individus. La participation de
ministres ordonnés reflétera la présence de deux ou plusieurs
Eglises qui expriment leur étroite unité dans la foi et le
baptême et montrera que nous nous efforçons de rendre encore
plus visible l'unité de l'Eglise une, sainte, catholique et
apostolique. Toutefois, une telle participation ne signifie
pas pour autant la pleine interchangeabilité des ministres.
La célébration se fera selon la liturgie de l'Eglise à laquelle
appartient le ministre présidant la Cène. Ce dernier prononcera
la prière eucharistique (note 2).
(V) Encourager les ministres ordonnés de nos Eglises à servir
dans d'autres Eglises en accord avec la discipline des Eglises
concernées et dans les limites du présent accord ;
(VI) Poursuivre les entretiens théologiques entre nos Eglises
en vue de résoudre les problèmes empêchant encore une communion
plus entière, soit de manière bilatérale, soit dans un cadre
européen, et oecuménique plus vaste ;
(VII) OEuvrer en vue de relations plus étroites entre nous
dans des situations de diaspora ;
(VIII) Encourager les visites oecuméniques, les jumelages
et les échanges ;
(IX) Etablir un groupe de contact pour promouvoir les progrès
de notre communion, mettre au point des formes de consultation
régulière sur des questions importantes et coordonner la mise
en oeuvre de cet accord"
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note 1: cf. Confession d'Augsbourg, 7; article XIX des Thirty-Nine
Articles ; et Concorde de Leuenberg, § 2
note 2 : Lors de ces célébrations, chaque Eglise doit respecter
les pratiques et la piété des autres, et tenir compte du consensus
oecuménique grandissant en ce qui concerne la célébration
de l'eucharistie. Cette célébration comportera la prière d'action
de grâce, les paroles de l'institution, une anamnèse, une
invocation de l'Esprit, une intercession pour l'Eglise et
le monde et la proclamation du Royaume de Dieu. La sensibilité
oecuménique et le respect mutuel exigent que les éléments
eucharistiques soient traités avec respect après la célébration
et que le ministre qui préside à la célébration soit un pasteur,
un presbytre ou un évêque ordonné La 'concélébration' n'est
pas envisagée.
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