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27 mai 2012 -
DES ENFANTS ACCUSÉS DE MAGIE NOIRE
De "Protestantinfo-ENI", par Corina Fistarol, "Reformierte presse"

La croyance dans la sorcellerie fait des ravages en Afrique noire. Des milliers d’enfants sont rejetés, torturés, mutilés, voire tués à la suite de telles accusations. Des Eglises évangéliques fondamentalistes prennent une part importante dans ces persécutions.

Depuis le début des années 1990, en Afrique noire, ce sont le plus souvent des enfants qui sont accusés de sorcellerie. Ce phénomène touche des milliers d’entre eux et la tendance est à la hausse, comme l’attestent les chiffres donnés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Ce sont avant tout des Eglises évangéliques fondamentalistes en rapide croissance qui suscitent et exploitent la chasse aux enfants sorciers dans les pays africains subsahariens. « Ces Eglises cultivent la croyance dans les mauvais esprits et la possession démoniaque, puis proposent ensuite les moyens – invocations, bénédictions, rites d’exorcisme – de vaincre la détresse qu’elles ont elles-mêmes suscitée », expliquent Hartwig Weber et Maren Basfeld du Centre de compétences pour la pédagogie des enfants des rues à la Haute Ecole pédagogique de Heidelberg sur la plateforme « strassenkinderreport.de ».

Incitation à la haine

Plus les prédicateurs de ces Eglises repèrent de mauvais esprits, plus ils célèbrent des exorcismes, et plus ils s’affirment avec succès dans la compétition avec les autres communautés de foi. Les Eglises incriminées ont pour noms « Phare du mont Sion », « Croisade des seigneurs nés », « Eglise apostolique du Nigéria », « Communauté des vainqueurs » ou « Ambassade du Christ» .

Max Schläpfer, président de la Mission pentecôtiste suisse, déplore que des pasteurs incitant à la haine se réclament de la mission pentecôtiste. Les communautés pentecôtistes, explique-t-il, sont hétérogènes, non contrôlées; elles ne s'organisent pas au niveau mondial, mais en groupes paroissiaux. Même la Conférence pentecôtiste mondiale n’a pas d’autorité impérative.

« La paroisse est là pour renforcer l’homme ou la femme dans son vécu personnel avec Dieu », explique Max Schläpfer, en soulignant l’esprit profondément protestant de l’Eglise. Les choses deviennent difficiles quand des pasteurs qui se réclament d’une Eglise pentecôtiste manquent des bases théologiques nécessaires. Car dans ce cas, Dieu peut aussi être perçu comme une force occulte.

« La guérison du corps et de l’esprit est certes possible par le Saint Esprit », indique Max Schläpfer. Mais, précisément dans le contexte africain, il arrive qu’on l’intègre dans le monde spirituel animiste en l’inscrivant dans une approche syncrétiste. « Si la doctrine de la communauté n’indique pas clairement que Jésus a pris toutes les forces sur lui, c’est la crainte qui domine. Et cette crainte pousse les gens à croire à la sorcellerie. »

Même s’ils sont très rares, il y a des exorcismes dans l’Eglise pentecôtiste, admet Max Schläpfer. « L’exorcisme est une action pastorale très complexe dans laquelle la marge d’erreur est importante. Les problèmes d’origine démoniaque sont très difficiles à cerner, on doit se montrer particulièrement prudent. Notamment avec les enfants, qui sont facilement influençables et dépendants! »

Le président de la Mission pentecôtiste suisse est convaincu que les personnes qui croient véritablement et sincèrement en Dieu ne sont pas influencées par le monde occulte. Mais les Africains se trouvent dans un autre contexte que les Européens, dans la mesure où ils attribuent traditionnellement beaucoup de phénomènes à la sorcellerie. « Tous ceux qui ont fait l’expérience concrète de Dieu devraient en fait prêcher contre la croyance à la sorcellerie. » La situation se complique quand les pasteurs eux-mêmes ne sont pas guéris de leur crainte de la sorcellerie.

La violence occulte au centre des prédications

Comme les persécuteurs de sorcières au début des temps modernes en Europe centrale, ces théologiens africains se réfèrent aujourd’hui au verset biblique: « Tu ne laisseras point vivre la sorcière. » (Ex 22,18). Même des ecclésiastiques catholiques admettent qu’ils vendent parfois à leurs ouailles des cierges et de la poudre pour chasser les sorcières et les démons qui les menacent, écrivent Hartwig Weber et Maren Basfeld.

Comme autrefois en Europe, le nombre des persécutions de sorcières est en corrélation avec celui des prédications contre les machinations occultes. Et comme autrefois en Europe, les persécutions actuelles de sorcières en Afrique sont en rapport avec l’effondrement économique et la pauvreté généralisée.

C’est pourquoi, dans son ouvrage intitulé "L’économie de la sorcellerie", l’ethnologue et journaliste David Signer définit l’occultisme comme un phénomène associé à la mondialisation et à la modernisation: la confrontation aux forces occultes représente pour les prisonniers de la misère une dernière occasion de révolte désespérée. Les atrocités commises par les soldats et les rebelles à l’égard de la population dans les guerres qui sévissaient à la fin du siècle dernier ont laissé des traumatismes. En outre, la multiplication des décès causés par le SIDA a aussi eu pour effet d’augmenter sensiblement le nombre des accusations de sorcellerie.

La sorcellerie, une réalité sociale

En fait, la croyance à la sorcellerie en Afrique est ancienne. « Ce que les Africains appellent sorcellerie, écrit David Signer, n’est pas simplement une fantasmagorie, mais une réalité sociale. » La croyance aux forces spirituelles occultes était et demeure un élément essentiel de la vie culturelle et sociale en Afrique. Mais aujourd’hui, les Eglises pentecôtistes, Eglises chrétiennes de guérison et Eglises indépendantes, ainsi que les mouvements charismatiques de réveil et de renouveau attisent la panique face aux sorcières et aux démons.

La crainte des sorcières et des esprits est encore attisée par la puissante industrie cinématographique africaine, de « Nollywood » (Nigéria) à « Gollywood » (Ghana). On trouve aussi sur internet des films d’horreur « soft », tournés par des amateurs, avec lesquels les pasteurs, hommes et femmes, portent la mission dans les villages (sur youtube.com, rubrique Hexenkinder/Child Witches/Enfants sorciers).

Des tout petits parmi les victimes

Au Nigéria, le réseau d’entraide CRARN (Réseau pour les droits de l’enfant et la réinsertion) offre depuis 2003 une protection aux enfants persécutés. La plus jeune victime ayant trouvé asile au refuge est une petite fille de 2 ans. L’aîné a 15 ans. Les corps et les visages de beaucoup portent des marques de coups de couteau, de jets d’acide ou de brûlures. Des phalanges manquent aux doigts de certains, coupées par leurs parents pour les faire avouer.

Des centaines d’enfants séjournent aujourd’hui au refuge, qui devrait pouvoir en accueillir des milliers d’autres. Dans leurs villages et leurs familles, ces jeunes filles et garçons sont considérés aujourd’hui encore comme des sorcières et des sorciers qui veulent nuire à d’autres personnes. Ils ne pourront sans doute jamais rentrer chez eux. Les innombrables enfants africains qui n’ont pas été recueillis par une organisation vivent dans la rue, ou traînent misérablement par groupes à travers la campagne.

Ce qui les aura désignés comme "enfants sorciers" à la vindicte des adultes? le fait qu'ils se soient justement rebeler contre les aînés, écrivent Hartwig Weber et Maren Basfeld. Pour l'heure, les Eglises portant les mêmes dénominations en Europe et aux Etats-Unis n'interviennent pas pour dénoncer les dérives de leurs consoeurs en Afrique, relève l'auteure de l'article.

On trouve sur youtube.com plusieurs documentaires allant de reportages de la BBC à des films d’amateurs tournés lors de cérémonies religieuses, par exemple Child Witches: Accused in the Name of Jesus (Enfants sorciers: accusés au nom de Jésus) (source : ENI)

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