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La situation actuelle
des chrétiens en Terre Sainte (dossier)
 

 

Une préoccupation et un espoir    

L e 7 mars 2009, à l'occasion de sa venue pour l'inauguration de la chapelle du Saint-Sépulcre à Notre-Dame de Paris, le Patriarche Latin de Jérusalem, Mgr Fouad Twal, s'adressait aux memebres de la Lieutenance de France du Saint Sépulcre, dont la vocation et les activités sont de se mettre au service des communautés chrétiennes et des diverses instances de l'Église en Terre Sainte. mars, à l'occasion de sa v

" Je suis honoré de vous rencontrer personnellement, heureux de vous confier quelques impressions personnelles sur la situation des Chrétiens de Terre Sainte, situation faite de préoccupations, mais aussi porteuse d’espoir.

Force et faiblesse.

Nous sommes une église consciente de sa force, consciente de sa fragilité et de sa faiblesse. Notre force vient de la conviction que notre présence en Terre Sainte est une vocation et une mission. Chaque mission requiert des sacrifices, se heurte à des obstacles. Malheureusement, certains de nos Chrétiens ne partagent pas cette vision des choses et préfèrent émigrer. Cependant, malgré les épreuves, nous ne sommes pas seuls dans cette aventure évangélique. Beaucoup d’amis, d’organisations chrétiennes humanitaires partagent nos soucis et nous viennent en aide ; c’est notre première force. Votre présence est déjà une preuve de ces amis.

Une autre force vient du fait que l’Eglise de Jérusalem a un caractère vraiment universel. Elle est l’Eglise-mère, où spirituellement tous les Chrétiens sont nés, comme le chante le Psalmiste : on appelle Sion ma mère, car en elle tout homme est né. Jérusalem est votre église, vous êtes citoyens spirituels de Jérusalem

Mais nous sommes aussi conscients de notre faiblesse. D’abord, nous, chrétiens catholiques, nous ne sommes pas la seule église sur le terrain. Il y a seize églises de rite catholique, cinq églises orthodoxes deux églises protestantes. Nous ne parlons pas en leur nom. Toutes ne partagent pas notre position. Ensuite, nous nous trouvons au milieu d’un conflit – et pour mieux dire des conflits – de nature avant tout politique, mais ayant des implications, des colorations religieuses, ce qui complique la situation, rend plus difficile la recherche des solutions, et quelquefois déforme la religion elle-même.

Les deux côtés d'un conflit.

L’Eglise, notre Église, votre Église, est présente des deux côtés du conflit : en milieu israélien, juif et en milieu palestinien musulman.

Notre présence chrétienne n’est pas toujours acceptée sans réserve, ni du côté israélien, juif, ni du côté palestinien musulman. Et pourtant, nous pouvons, nous devons être des médiateurs entre les deux camps, nous pouvons, nous devons travailler à la réconciliation mutuelle. Enfin, et c’est à la fois une force et une faiblesse, notre église en Terre Sainte a à faire face à une grande diversité, à la fois interne et externe ; non seulement parce que nos fidèles sont citoyens de divers pays, Israël, Palestine, Jordanie, Chypre, mais ils sont aussi insérés dans diverses cultures et milieux linguistiques, au sein desquels ils vivent en minorité, dans des sociétés qui n’ont pas les mêmes références religieuses

En parlant du conflit politique, nous avons trois ou quatre groupes. Nous avons une petite minorité juive convertie, qu’on appelle chrétiens d’expression hébraïque ; nous avons des Européens locaux à Jérusalem, pour raison d’études, de passage, de pèlerinage ; nous avons les Chrétiens de Jordanie, trois ou quatre groupes qui ne partagent pas la même sensibilité envers le conflit. De là ma difficulté, à moi, de parler, de faire arriver mon discours à tous, quand tous n’ont pas la même sensibilité. Chacun voudrait que le discours, que le Patriarche, que l’Eglise, que le Saint-Père soient de son côté. Un peu compliqué ! Un peu compliqué !

L’instabilité.

Le diocèse de Jérusalem s’étend sur plusieurs territoires : Jordanie, Palestine, Israël, Chypre. Evidemment, chacun de ces pays a son caractère propre, son contrôle propre. Mais il y a une condition générale, qui touche l’ensemble des peuples de ces pays, les Chrétiens en particulier. Il y a une chose commune à tous ces pays, qui s’appelle l’instabilité. En maniant le paradoxe, on peut dire que du point de vue politique, économique, social, l’instabilité est … l’unique chose stable. Or la stabilité est une des principales conditions préalables pour assurer l’avenir, non seulement des Chrétiens, mais de tous les habitants de ces pays. L’instabilité est le problème n°1 de tous les pays de la région. Les Chrétiens ont toujours été présents dans ces pays. Ils le sont, ils le seront, malgré toutes les difficultés de l’Histoire. Nous avons connu dans le passé des moments aussi difficiles, sinon plus difficiles que ceux d’aujourd’hui, et pourtant, nous sommes toujours là. C’est notre vocation, notre avenir.

Notre avenir est dans les mains de Dieu. Mais cela ne veut pas dire que les Chrétiens doivent fermer les yeux sur les problèmes qu’ils rencontrent. C’est ici qu’intervient la responsabilité de la communauté internationale, qui devrait œuvrer avec beaucoup de sérieux, d’engagement, pour résoudre les problèmes dont souffrent ces divers pays. Dans ce conflit que nous vivons, dans ce conflit qui est notre pain quotidien, quel serait la recette ? Est-ce qu’il faut parler ? Est-ce qu’il faut dénoncer ? Est-ce qu’il faut se taire ? Est-ce qu’il faut aimer ? Est-ce qu’il faut haïr ?

Un conflit dramatique

En Terre Sainte, nous nous trouvons depuis soixante ans plongés au cœur d’un conflit dramatique. Soixante ans ! C’est un peu beaucoup ! En face de ce conflit, que devons-nous faire ? D’abord, nous devons parler, au nom de Dieu lui-même, Père aimant de tous les hommes, ses enfants ; au nom du Christ, qui, par la Sang de sa Croix, a tué la haine, a voulu rassembler les uns et les autres en faisant la paix (saint Paul aux Corinthiens). Parler ! Mais nous devons également parler au nom des hommes et pour les hommes, qui attendent une parole de nous. Comme c’est difficile de parler ! Et comment l’Eglise pourrait-elle rester silencieuse, en marge de tout ce qui arrive ? Bien entendu, l’Eglise ne joue pas un rôle politique direct, mais elle est une voix qui s’élève en faveur de la justice, de la paix, de la vérité, de la réconciliation et du pardon. Nous devons parler, sous peine d’être taxés de lâcheté ou de dureté du cœur.

La situation est tellement compliquée, que nous n’osons pas demander à nos amis occidentaux qui arrivent – souvent ils viennent chez nous. Tant de visites ! Tant de promesses ! Tant de rencontres ! – mais nous n’osons pas demander à nos amis occidentaux de se prononcer clairement, ouvertement car, ce faisant, ils risquent rien moins qu’un suicide politique. Nous sommes conscients, ils sont conscients. Et pourtant, il faudrait – il faudrait – en Occident oser parler, il faut oser parler de l’occupation injuste. Tous parlent des Territoires occupés, tous, même les journaux israéliens. Peu osent dire de qui ils sont occupés, par qui ils sont occupés. Peu osent parler de cette occupation injuste, parler des entraves opposées au libre mouvement, à la vie économique, à la vie religieuse, à la liberté religieuse, dans les pays et d’un lieu à l’autre. Il faudrait oser parler des arrestations arbitraires, assassinats ciblés, détentions abusives, sans procès. Guerre insensée de Gaza ! Punition collective, maisons démolies, pour raison de sécurité, qui ose parler ?

D’un autre côté, on ne peut tolérer les réactions ignobles, violentes, attentats commis par certains terroristes palestiniens, qui font des victimes innocentes dans la population israélienne. Mais qui aime, qui aime Israël ? Qui aime les Palestiniens, par amour ? Il faut oser parler ! Pas par haine, non, non ! Par amour, il faut oser parler. Une maman qui aime son fils, ses fils, doit avoir le courage de leur dire ce qui est mal, dans leur conduite, dans leur vie. Une maman qui aime doit parler

Etre profondément solidaire d’un peuple, ne veut pas dire se fermer aux autres. S’il est nécessaire de contredire l’une ou l’autre des deux parties engagées dans le conflit ou de leur déplaire, que ce ne soit jamais pour satisfaire l’une des parties uniquement.

Dans la situation aussi douloureuse, inextricable, que nous vivons, prononcer une parole est délicat ! Délicat parce que cette parole risque de compromettre notre présence et notre crédibilité ; parce que cette parole doit pouvoir être entendue des deux parties engagées dans le conflit, sans être récupérée par telle ou telle idéologie, qui voudrait que l’Eglise serve ses intérêts politiques ; parce que cette parole doit être inspirée par un souci authentique de la vérité, de la justice, de la paix pour tout le monde, loin de tout esprit partisan ; enfin parce que nombreux sont les gens, de part et d’autre, qui ne croient plus aux paroles. Les politiciens ont perdu toute crédibilité ; Soixante ans, c’est beaucoup ! Beaucoup de discours, beaucoup de rencontres, beaucoup de promesses, c’est beaucoup, c’est beaucoup !

Sur la question palestinienne en effet, il y a eu des discours sans nombre, des déclarations enflammées ; un flot de critiques, combien de résolutions internationales ! Mais pour quel résultat aujourd’hui ? Faisons le compte. Quel résultat ? Face à cette dévalorisation de la parole, il me semble que nous devons parler peu, faire davantage ; je devrais parler moins, aimer plus !

L'Église de la Résurrection.

Notre Eglise de Jérusalem est l’Église du Calvaire. Hier, nous avons fêté la Chapelle du Saint Sépulcre à Notre-Dame. Jérusalem est l’église du Calvaire, mais elle est aussi l’église de la Résurrection, donc de l’espérance, surtout lorsque les espoirs humains se ternissent. Que le bon Dieu nous donne la grâce du discernement pour savoir nous taire quand il le faut, saisir le bon moment pour intervenir ! Ne jamais nous lasser d’aimer ! Dialoguer et faire dialoguer !

La lassitude est perceptible au sein de la population israélienne et palestinienne, et aussi de la communauté internationale. Pour pouvoir créer une atmosphère de dialogue, les deux parties doivent faire des concessions, changer de discours, de mentalité, prendre le risque de la confiance mutuelle, lutter contre la peur. Les deux parties doivent accomplir des gestes courageux, tracer la voie pour construire un avenir juste et responsable. Chaque partie est appelée à s’impliquer personnellement, courageusement dans un processus de paix, dont le fragile équilibre est sans cesse menacé par l’extrémisme nationaliste, le fanatisme religieux.

La Ville Sainte.

Il est temps de redonner à Jérusalem son caractère de ville sainte, demeure que Dieu a choisie pour parler à l’humanité, pour réconcilier les hommes avec Lui-même et entre eux. Il est évident que les moyens déployés jusqu’à présent de part et d’autre n’ont pas abouti à pacifier la région, mais ont au contraire exaspéré la rancœur dans les âmes.
La guerre de Gaza. Faisons le compte-rendu. Qu’est-ce que nous avons obtenu de cette guerre de Gaza ? Le chemin de la paix sera long sûrement, mais il peut déboucher. Seulement, le croyons-nous ? Voulons-nous vraiment la paix ? C’est la question. Est-ce qu’il y a une bonne volonté pour arriver à la paix ? N’avons-nous pas plus peur de la paix que de la guerre ?

En ce moment, c’est la paix qui me paraît être la nécessité la plus urgente, vitale. Sans la paix, rien n’est possible. Tant que cette région sera divisée par la haine et par les murs, rien de bon ne pourra se construire. Nous devons tous travailler à abattre les murs, les murs qui sont avant tout intérieurs. Jeter des ponts, délivrer les cœurs de la haine, montrer qu’il est possible de vivre ensemble dans la paix, la justice, la sécurité. Que chacun, mais que chacun, qu’il soit palestinien, israélien ou sympathisant de l’un ou de l’autre, ait l’honnêteté de reconnaître ses limites et ait l’humilité de s’ouvrir à la problématique de la partie adverse. C’est aussi cela entrer en dialogue et ne pas être esclave d’un parti pris quelconque, toujours réducteur. Il faut croire que la paix est possible, mais il faut la construire ensemble. Et les Chrétiens de Terre Sainte, vos amis, nos amis, les Chrétiens ont un rôle important dans cette marche vers la paix. Ce rôle n’est pas seulement un rôle de médiation : les Chrétiens doivent montrer l’exemple en faisant la paix entre eux. Dans un contexte de guerre, de désunion, comment espérer être crédible dans nos appels à la paix, si dans le même temps nous restons divisés entre églises et confessions chrétiennes ? Grâce à Dieu, grâce aux visites des Papes Paul VI et Jean-Paul II en Terre Sainte, nous avons de bons rapports entre communautés chrétiennes, mais chacun reste roi dans son église et dans son rite.

Notre identité !

L’état d’esprit de la communauté chrétienne en Terre Sainte, en Palestine surtout, et celui de toute la population – comme les autres communautés – subit les retombées de la situation générale. On perçoit un découragement certain. Les Chrétiens ne voient pas clairement leur avenir. Soixante ans de conflits ! Sans solution ! De là, l’émigration. Seule une situation de paix peut redonner espoir, espérance à ces Chrétiens, les encourager à rester sur place.

Malgré cette détresse, nous devons être fiers, fiers de notre identité de Chrétiens en Terre Sainte. Comme ici, vous, vous devez être fiers de votre identité, sans complexe. Sans complexe ! Nous sommes les descendants de la toute première église de Jérusalem, nous sommes les témoins vivants des événements du Salut. Nous entourons littéralement les Lieux-Saints de notre présence, de notre dévotion, de notre foi. Nous avons souffert au cours de l’histoire, pour préserver notre présence en ces Lieux-Saints. Plus que jamais, l’Eglise a et aura sa place en Terre Sainte, mais son avenir dépend en grande partie de la plongée dans la Foi, qu’elle est appelée à vivre.

Le dialogue interreligieux.

Ce dialogue se fait avec les Juifs et les Musulmans, qui constituent les deux religions majoritaires dans notre diocèse. En ce qui concerne le dialogue judéo-chrétien, je voudrais commencer par relever un élément positif : dans notre Patriarcat, un cours sur le judaïsme est donné dans un esprit très positif – sans que cela pose de difficultés – par un Juif, aussi bien dans notre Université de Bethléem, qu’à notre séminaire de Beit Jala. Moi-même, je préside un comité qui traite des relations judéo-chrétiennes, je participe à un Conseil des Institutions Religieuses, composé des chefs religieux chrétiens et musulmans. Nos relations avec la communauté musulmane ne datent pas d’hier, puisque nous vivons ensemble depuis treize siècles. Tout au long de cette période, la vie commune, les échanges quotidiens, nous ont unis à tous les niveaux : culturel, social, politique, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème avec les Juifs ou avec les Musulmans.

Il ne faut jamais cesser de croire que la Terre Sainte est la terre des surprises. En témoignent – dans le sens de Dieu fait homme – la grotte de Bethléem, la Résurrection de Jésus, le matin de Pâques. La Terre Sainte reste celle de l’espérance contre toute espérance, selon l’expression de saint Paul.

L’émigration.

Le phénomène d’émigration ne date pas d’hier, ne touche pas uniquement la Terre Sainte, mais tous les pays du Moyen-Orient. Tous émigrent : les Juifs émigrent, les Musulmans émigrent, les Chrétiens émigrent. D’ailleurs, l’émigration est un phénomène humain, qui date de notre père Abraham. Mais quand un Chrétien est moralement obligé de partir – et comme nous sommes déjà une minorité – le départ d’un membre de cette minorité nous fait souffrir plus. Un Juif part, d’autres Juifs arrivent. Un Musulman part, d’autres Musulmans naissent. Mais les Chrétiens… nous sommes déjà peu nombreux ! Si je donne l’exemple de Jérusalem, nous sommes seulement dix mille Chrétiens : catholiques, protestants, orthodoxes ; dix mille dans une masse musulmane de plus de 150 000 et 455 000 Juifs. Sur 850 000 habitants, il y a dix mille Chrétiens à peine. On revient à prendre l’Evangile à la lettre : « Vous êtes le sel de la terre ! », la petite quantité.

Sur un plan d’aide matérielle économique, les églises-sœurs, l’Ordre du Saint Sépulcre, le Secours Catholique, d’autres organisations humanitaires ont fait un effort immense pour aider les Chrétiens à rester. Mille, mille, mille mercis pour votre solidarité spirituelle, morale et matérielle. Je dois dire un mot de l’Ordre du Saint Sépulcre, qui est plus sensible que jamais à nos peines, sensible à nos besoins, et j’en suis très reconnaissant. En particulier quant au soutien des écoles du Patriarcat, qui sont essentielles pour nous. Pourquoi les écoles sont-elles essentielles ? C’est grâce à ces écoles que nos paroisses vivent. C’est grâce à ces écoles que nos Chrétiens les plus démunis de nos villages de Jordanie, de Palestine, reçoivent une éducation religieuse, une vraie formation, ce qui leur permet de retrouver une confiance en eux-mêmes pour l’avenir et qui les prémunit de toute tentation d’émigration.

Tous nos séminaristes, prêtres et religieux sortent de ces établissements. Certes, ces écoles mobilisent un budget très lourd, mais leur existence est vitale. Et puis le fait qu’il y a dans nos écoles des orthodoxes, et 30% de Musulmans, fait de l’école un lieu de dialogue : dialogue de vie à travers les élèves musulmans ; et par un contact avec leurs parents.

J’en arrive à la conclusion. La Foi, la foi chrétienne reste la base de l’espérance de l’Eglise en Terre Sainte. Un jour, la justice et la paix l’emporteront. Nous aurons notre Résurrection. Nous aurons la paix et la justice. Un jour, les chefs politiques arriveront à comprendre le sens de cette terre bénie, choisie par Dieu, pour unir les hommes, à Dieu et entre eux.

Comme vous le savez, j’ai assumé la charge de Patriarche Latin de Jérusalem depuis juin dernier. J’ai commencé, je commence par regarder, écouter, rencontrer, mais surtout faire preuve de beaucoup d’amour. Il est vrai que les difficultés en Terre Sainte sont immenses. Il est vrai aussi que les attentes et les possibilités le sont aussi. Grâce à Dieu, il y a tant d’amis qui nous soutiennent dans leur prière, dans leur amitié, de leur solidarité, qu’il n’y a plus de place pour la peur.

C’est donc avec beaucoup d’optimisme et de joie que j’envisage l’avenir de la Terre Sainte. Merci pour votre attention et pour votre patience. Amen.

Un voyage à risque

Un mois avant l’arrivée du pape Benoît XVI en Terre Sainte, le Patriarche Latin de Jérusalem, Mgr Fouad Twal, donnait de nouvelles clés de lecture sur ce pèlerinage, dans un entretien paru sur le site du Patriarcat..

 > Béatitude, le pèlerinage du pape Benoît XVI survient alors que le pays connaît un nouveau passage difficile. Si bien que ce sont les chrétiens palestiniens les premiers qui ont fait preuve de plus de scepticisme, voire d’incompréhension, devant ce choix. Que pouvez-vous leur dire ?

Il est vrai que la communauté chrétienne locale palestinienne a exprimé et nous a fait connaître son désarroi, ses interrogations et ses craintes. Ayant eu avant elle connaissance du projet de pèlerinage de Sa Sainteté, nous nous sommes interrogés nous aussi sur l’opportunité de ce voyage. Le fait que le Saint-Père vienne dans une période difficile, dans une région difficile, à la rencontre de peuples extrêmement sensibles, nous a fait réfléchir. Nous nous sommes entretenus avec les organisateurs, avec le Saint-Père lui-même, et ici à Jérusalem avec nos frères évêques de l’Assemblée des Ordinaires Catholiques de Terre Sainte, partageant les mêmes inquiétudes que la communauté chrétienne locale. Mais suite à nos échanges, et constatant que le programme du pèlerinage ménageait un bon équilibre entre les moments consacrés à la Jordanie, à la Palestine et à Israël, nous avons tous fini par estimer que ce voyage était et devait être un bien, une bénédiction pour tous.

Les inquiétudes - je dirais même les angoisses - que vous mentionnez sont pour une part légitimes, mais je veux souligner qu’elles ont été - et sont encore ici où là - éprouvées par les Chrétiens arabes vivant dans les Territoires et à Jérusalem. La réalité des Chrétiens vivant en Israël, et a fortiori celle des Chrétiens de Jordanie, est tout autre ; ils conçoivent la visite du Pape sous un éclairage différent. Dans un diocèse qui vit des réalités extrêmement diverses, nous devons nous efforcer d’avoir une vision plus globale de cette visite, et la considérer sous toutes ses dimensions : et politique et sociale et humaine et religieuse.

Il n’en reste pas moins que ces trois points demeurent : le Saint-Père arrive dans un moment difficile - surtout après la guerre de Gaza -, dans une région difficile, pour rendre visite à des gens très sensibles.

> Juifs, Chrétiens et Musulmans sont tous “sensibles” ?

Oui, chacun a sa sensibilité, son point de vue, et à l’heure actuelle tous se préparent à tirer la meilleure part du gâteau que représente cette visite…

Au fond, qu’est-ce qui motive la venue du Saint-Père dans cette période difficile ? On pourrait croire qu’il choisit le pire moment ?

Non, non. Depuis son élévation au pontificat, le Pape Benoît XVI a manifesté le désir de venir comme pèlerin. Notre Assemblée des évêques l’a invité, je l’ai personnellement invité, et il a aussi reçu l’invitation des différentes autorités civiles jordaniennes, israéliennes et palestiniennes. Par ailleurs, cela fait des mois que le voyage se prépare ; entre temps est survenue la guerre de Gaza, et le thermomètre du conflit a encore grimpé. Alors que faut-il faire ? Attendre des temps meilleurs ? Mais cette région n’est jamais en paix ! Attendre que la question palestinienne soit résolue ? J’ai bien peur que deux ou trois souverains pontifes passent avant qu’elle soit ne définitivement réglée.

C’est l’histoire du verre à moitié plein ou vide… Certains disent : “La situation est difficile, donc il vaut mieux qu’il ne vienne pas” ; d’autres au contraire disent : “La situation est difficile, donc il vaut mieux qu’il vienne.” Et c’est notre position. Dans ces temps difficiles, je désire que le Saint-Père vienne nous aider à “superare” : à surpasser, à voir plus loin.

Le Pape vient rendre visite à toutes les Eglises, à tous les peuples vivant en Terre Sainte pour nous encourager à rester fidèles à notre mission, à notre foi et à notre conscience d’appartenir à cette Terre. Il ne faut pas oublier non plus qu’il vient en pèlerinage. Imaginez les conséquences négatives que cela aurait sur l’industrie des pèlerinages - qui est vitale et capitale pour tous - si le Pape lui-même avait peur de venir en pèlerin ! Que dirions-nous à tant de touristes et de pèlerins qui annulent leur visite ? Comment les encouragerions-nous à venir eux aussi nous visiter ?

Un dernier point : je vous rappelle que le Saint-Père a 82 ans et qu’il a manifesté le désir de venir comme pèlerin en Terre Sainte. Un pèlerinage doublé d’un voyage apostolique, c’est toujours fatiguant. Aujourd’hui le Saint-Père a la force de le vivre.

Mais les pèlerins et les touristes n’ont pas à faire de discours devant les autorités civiles…

C’est vrai, mais les chrétiens du monde entier qui suivront le pèlerinage du Pontife ne font pas tous cette analyse politique. La plupart se diront seulement : “Si le Pape n’a pas peur, pourquoi aurions-nous peur ?”

Au Pape pèlerin, les chrétiens locaux disent : “Ahlan wa sahlan !”, “Bienvenue !” Leur inquiétude réside simplement dans cette question : “Que va-t-il dire ?”, ou mieux : “Que va-t-on lui faire dire ?”

Précisément, Béatitude, la presse israélienne et internationale interprète massivement ce voyage sous l’angle d’un apaisement des relations de l’Eglise avec le judaïsme, surtout après l’affaire Williamson. Ce qui inquiète les Palestiniens, c’est le profit que peut en tirer Israël en tant qu’Etat…

Je comprends cela, et je sais que chacun essaiera de profiter au maximum de cette visite, tant en Jordanie, qu’en Israël, en Palestine, et même au cœur de l’Eglise locale. C’est une raison de plus pour que chacun de nous se montre assez intelligent, et se prépare.

Israël va faire tout son possible pour présenter son pays sous le meilleur jour. Je le comprends, c’est son droit.

Ce n’est pas à nous à critiquer ou à dénoncer ce que font les autres. A nous il revient de faire en sorte que la visite soit la plus pastorale possible, à nous incombe la responsabilité de faire en sorte que nos chrétiens aient la possibilité de voir le Saint-Père, de prier ave lui et d’entendre son message de paix et de justice pour tous. Si on étudie tous les messages que le Saint Siège a publiés au sujet de la Terre Sainte, de l’Irak et du Moyen-Orient, nous nous trouvons devant un capital inouï de discours, de soutien, d’interventions riches d’humanité, d’esprit chrétien et de justice. Nul doute que durant sa visite en Terre Sainte, le Saint-Père poursuivra dans ce sens.

A nous, Eglise locale, il revient de veiller à l’équilibre du programme : les sites à visiter, les personnes à rencontrer, les discours à prononcer. C’est à nous à donner “un coup de main au Saint-Père”. Il est continuellement tenu informé de notre situation, de ses aspects positifs comme de ses aspects négatifs. Il connaît nos peurs, nos angoisses, comme aussi nos espoirs et notre joie de le recevoir, en étroite collaboration avec toutes les Autorités civiles.

Le Nonce apostolique a dit que ce voyage ne serait pas politique, mais qu’il pourrait en être fait une lecture politique …

Dans ce pays, il est impensable qu’il n’y ait pas de dimension politique. Le Nonce a raison d’insister pour dire que c’est d’abord et avant tout un pèlerinage. Mais ne nous le cachons pas : il y a une dimension politique à 100%. Chaque journée, chaque geste, chaque rencontre et chaque visite, tout aura une connotation politique. Ici nous respirons politique, notre oxygène est politique. Ce qui aggrave la politique, c’est que tout le monde fait de la politique et qu’on ne laisse pas cette affaire aux politiciens et au Parlement ; chacun ajoute son grain de sel, et cela n’arrange rien. Il est donc impensable que ce pèlerinage n’ait pas de portée politique.

Peut-on dès lors s’attendre à des avancées politiques ? Et/ou à des avancées dans les relations entre le Saint-Siège et l’Etat d’Israël ?

Le Saint-Siège a toujours fait le premier pas, il a toujours eu l’initiative du dialogue et de la rencontre. Et là, dans cette période, malgré les interrogations, malgré les peurs, le Saint-Père a le courage de faire le premier pas dans l’espoir que les rapports du Saint-Siège avec l’Etat d’Israël vont s’améliorer ; dans l’espoir également qu’Israël, en cette heureuse occasion, fasse au moins un geste de courtoisie pour faire avancer la paix.

Quant à ce fameux accord - toujours en discussion - censé régler les relations entre le Saint-Siège et Israël, à en croire les experts, il y aurait des progrès.

Tous les communiqués depuis cinq ans font état de progrès, mais rien ne se conclut…

C’est vrai, mais dans ce domaine - comme d’ailleurs dans le domaine de la paix - les choses avancent, même si ces avancées ne sont pas étalées sur la place publique. Si c’était le cas, certains “gâteraient la cuisine” diplomatique et nous compliqueraient la vie. Pour moi, en cette période riche de rencontres et de dialogue, le mot clé, c’est la confiance. Mais il est vrai qu’il faudrait poser des gestes courageux, susceptibles de donner confiance.

Il est incontestable que la confiance réciproque manque.

Comme l’avait fait Jean Paul II, qui appelait les juifs “nos frères aînés dans la foi”, le Pape Benoît XVI va certainement souligner l’attachement connaturel des chrétiens au judaïsme. Mais comme tout est politisé ici, cela risque d’être interprété par certains comme un soutien à Israël en tant qu’Etat. Cela ne risque-t-il pas de mettre les chrétiens arabes en porte-à-faux, ici et dans tout le Moyen-Orient ?

Il est difficile de trouver le bon équilibre et de le conserver. Ceci dit, plus le Vatican sera ami d’Israël, plus il sera à même de mettre à profit cette amitié pour plus de paix et de justice. Si les tensions subsistent entre l’Eglise catholique universelle et Israël, nous y perdons tous, nous chrétiens et nous arabes. En revanche, si Israël a toute confiance en le Saint-Siège, alors le Saint-Siège pourra, à partir de son amitié, parler de vérité, de justice et de paix. Car avec le langage de l’amitié on peut se dire des choses que l’on refuserait d’entendre d’un ennemi.

Etre ami et parler comme tel fait du bien à tout le monde : à l’ami, à Israël et aux autres. J’espère simplement que l’amitié du Saint-Siège pour Israël est réciproque.

J’attire votre attention sur le fait que le Saint-Siège entretient déjà des relations diplomatiques avec presque tous les pays arabes, et que ces relations sont bonnes. La lecture des discours des ambassadeurs arabes près le Saint-Siège vous apprendrait qu’ils ont besoin de l’Eglise, pas seulement du Saint-Siège, mais de l’Eglise partout où elle est dans le monde. Il faut avoir cette vision mondiale pour comprendre la situation du Saint-Siège, ce petit Etat soutenu par tout le monde catholique, et ne pas voir les choses sous un angle unique, qui déforme la vision toute entière.

Plus le Saint-Siège est ami d’Israël, plus il peut intervenir pour le bien de tous les habitants de Terre sainte : juifs, musulmans et chrétiens. C’est notre grand souhait.

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