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La visite pastorale de Benoît XVI
au Royaume-Uni

du 16 au 19 septembre 2010

 

 

BENOÎT XVI ET NEWMAN  


Conférence donnée par le cardinai Joseph Ratzinger à l'occasion du centenaire de la mort de Newman (1990).
"Se transformer en se réalisant toujours davantage..."

... Quand en 1946, après le chaos de la guerre, le séminaire de Freising ouvrit finalement ses portes et que je commençai mes études théologiques, Alfred Läpple fut désigné comme préfet de notre groupe. C'était un étudiant un peu plus âgé, qui, déjà avant la guerre, avait commencé à travailler sa dissertation sur la théologie de la conscience chez Newman. Dès le début, s'établit entre nous une solide amitié autour des grands problèmes philosophiques et théologiques. Comme on pouvait s'y attendre, avec Läpple, Newman était toujours présent.

... La doctrine de Newman sur la conscience fut pour nous la base du personnalisme théologique qui nous attirait tous par son charme. Notre image de l'homme et notre concept de l'Eglise furent signés par ce point de départ. Nous avions expérimenté la prétention d'un parti totalitaire qui se comprenait luimême comme la plénitude de l'histoire et qui niait la conscience individuelle. Quelqu'un vint à dire de son chef: «Je n'ai pas de conscience; ma conscience, c'est Adolphe Hitler » L'énorme désastre humain qui suivit tout cela était devant nos yeux.

C'est pourquoi, il fut pour nous libérateur et fondamental de savoir que le 'nous' de l'Eglise ne se basait pas sur l'élimination de la conscience, au contraire: il pouvait seulement se développer à partir d'elle. Cependant, précisément parce que Newman comprenait l'existence de l'homme à partir de la conscience, c'est-à-dire, à partir de la relation Dieu - l'âme, il était clair que ce personnalisme n'était pas une concession à l'individualisme et que son lien avec la conscience ne signifiait pas une concession à l'arbitraire, mais plutôt le contraire.

Chez Newman, nous avons compris le primat du pape: liberté de conscience, disait Newman, ne signifie pas « se dispenser d'elle ... ou ignorer le Législateur et le juge et se libérer de toute obligation intérieure». De là le fait que la conscience, dans son sens authentique, est le vrai fondement de l'autorité du pape. Son pouvoir lui vient de la Révélation qui parfait la conscience naturelle, éclairée de façon imparfaite. « La défense de la loi morale et de la conscience est la 'raison d'être' du pape. »

Cette doctrine sur la conscience m'est apparue au long de l'évolution de l'Eglise et du monde chaque fois plus importante. Je vois avec plus de clarté qu'elle ne se comprend pleinement qu'en relation à la biographie du Cardinal qui reflète tout le drame spirituel de son siècle.

... Le deuxième pas dans le chemin de conversion - qui chez Newman dura toute sa vie - fut le dépassement du subjectivisme évangélique au bénéfice de la conception d'un christianisme basé sur l'objectivité du dogme. A ce propos, fut toujours pour moi significative, et plus encore ces jours-ci, l'expression tirée de l'un de ses premiers sermons de l'époque anglicane. Le vrai christianisme se manifeste dans l'obéissance et non pas dans un état de conscience, «de sorte que le devoir et la tâche du chrétien s'ordonnent autour de ces deux éléments: la foi et l'obéissance; 'ii (le chrétien) regarde vers jésus' (Héb. 2, 9)... et agit selon sa volonté.

Il me semble qu'aujourd'hui nous risquons de ne pas juger comme il faut aucun de ces éléments. Nous jugeons stérile ou comme une méticulosité technique toute réflexion véritable et profonde surie contenu de la foi... En conséquence, nous faisons consister le critère de notre religiosité dans un certain 'état d'âme' spirituel... ».

... Dans cette ligne, j'aimerais ajouter encore une autre phrase tirée de Newman dans l'Apologie et qui montre le réalisme de cette conception de la personne dans l'Eglise: « L'activité des mouvements ne provient jamais des comités. »

... L'étude publiée par Heinrich Fries, à l'occasion du jubilee de Chalcédoine, me marqua plus profondément encore. Je trouvais là l'accès à la doctrine de Newman sur 'l'évolution du dogme', que je considère être, ensemble avec sa doctrine sur la conscience, sa contribution décisive au renouveau de la théologie. Ainsi, il mit entre nos mains la clé qui nous permit d'inclure la pensée historique dans la théologie, mieux, il nous apprit à penser la théologie historiquement, nous donnant la possibilité de reconnaître l'identité de la foi à travers ses changements.

Je pense que l'apport de Newman n'a pas été encore pleinement exploité par la théologie moderne. Il contient des possibilités fécondes qui attendent d'être développées.

... On sait que la vision de Newman sur l'évolution (du dogme) marqua son cheminement vers le catholicisme. Il ne s'agit pas uniquement d'un développement cohérent des idées. Dans le concept de l'évolution se joue la vie personnelle de Newman. Ceci apparaît clair, il me semble, dans ses mots bien connus: « Vivre c'est changer; être parfait, c'est avoir changé souvent. ». Newman a été quelqu'un qui s'est converti pendant toute sa vie, quelqu'un qui s'est transformé sans cesse et, dans ce sens, qui est resté toujours lui-même, se réalisant toujours davantage.

... La conversion est un chemin, une route qui dure toute la vie. C'est pourquoi la foi est toujours développement et précisément à cause de cela, maturation de l'âme vers la vérité, vers Dieu, qui 'est plus intérieur à nous que nous-mêmes

Newman, dans son idée d'évolution a présenté sa propre expérience de conversion, jamais achevée; il nous a offert ainsi l'interprétation non seulement de la doctrine chrétienne, mais aussi de la vie chrétienne. Je crois que le signe caractéristique d'un grand maître dans l'Eglise est qu'il enseigne non pas seulement par ses idées et ses paroles mais aussi par sa vie car en lui pensée et vie se compénètrent et se déterminent mutuellement. Si cela est vrai, Newman appartient en vérité au nombre des grands maîtres de l'Eglise car il touche notre coeur et illumine notre intelligence."


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