27.03.02 - L'oecuménisme engage chaque
chrétien.
Lors de l'Assemblée générale de la Fédération protestante de France
(FPF), le cardinal Walter Kasper a donné samedi 23 mars à Paris, une
conférence publique sur l'engagement œcuménique de l'Eglise catholique.
C'était la première fois qu'un cardinal, représentant
officiel du Vatican, participait ainsi à une assemblée
générale protestante en France. Son intervention fut franche
et directe, faisant état des difficultés et désaccords avec netteté
et sans concession, se référant à la doctrine des
Eglises de la Réforme et à la doctrine de l'Eglise catholique.
Nous en donnons ici et longuement les principaux paragraphes de ce "cours
de théologie", structuré en neuf points.
..."Je me propose d'exposer neuf thèses sur la compréhension catholique
de l'engagement œcuménique. Avec le deuxième Concile du Vatican, je
pourrais dire, les neuf principes catholiques de l'œcuménisme.
1. L'Église catholique considère le mouvement œcuménique comme l'œuvre
de l'Esprit Saint. C'est pourquoi l'option œcuménique du Deuxième Concile
du Vatican est irrévocable.
... Derrière le mouvement œcuménique il y a l'Esprit Saint, non pas
l'esprit du temps, ni celui du relativisme et de l'historicisme libéral,
pour qui les anciennes controverses ne sont plus de mode et ne sont
donc plus actuelles ; ce n'est pas non plus l'esprit du postmodernisme
pluraliste qui laisse purement et simplement côte à côte des doctrines
et des Églises différentes entre elles.
... C'est pourquoi l'œcuménisme n'est pas un complément facultatif de
la mission de l'Église ; il appartient à sa nature ainsi qu'à ce qui
est au cœur de sa mission pastorale. Ce n'est pas le hobby de quelques
rares spécialistes et enthousiastes ; il engage chaque Chrétien. Pour
toutes ces raisons, l'option œcuménique de l'Eglise catholique, comme
le Pape l'a souvent dit, est irrévocable et irréversible.
2. Le mouvement œcuménique
est une réponse de l'Esprit de Dieu aux " signes des temps ".
... Il y a toutefois un point lumineux dans ce siècle obscur : la naissance
du mouvement œcuménique. La séparation des Églises a déjà apporté d'innombrables
malheurs à l'humanité, surtout en Europe : guerres de religion, persécutions,
condamnations, inimitiés et aliénations jusqu'au sein des familles,
et bon nombre de familles en souffrent encore aujourd'hui.
... Les divisions ont rendu le christianisme peu crédible aux yeux de
beaucoup de monde, elles ont sensiblement affaibli son rayonnement missionnaire
et contribué de manière décisive au processus de sécularisation dans
le monde occidental. Elles empêchent les Églises d'être des signes et
des témoins d'unité, de paix et de réconciliation. S'il est bien vrai
que la paix dans le monde présuppose la paix entre les religions, à
plus forte raison présuppose-t-elle la paix entre les Églises.
3. Le fondement et le
point de départ de l'œcuménisme est ce qui nous unit : la profession
de foi commune en Dieu Un et Trine et en Jésus-Christ.
... Contrairement à l'ancienne théologie de la controverse, le mouvement
œcuménique part de ce qui est commun et non plus de ce qui sépare ;
on y partage la conviction que ce que nous avons en commun est plus
grand que ce qui nous sépare. Aujourd'hui la ligne de séparation décisive
ne passe pas entre chrétiens catholiques et protestants, mais entre
les chrétiens et les non chrétiens, c'est-à-dire les indifférents du
point de vue religieux.
... Les réformateurs étaient conscients de cette communion. Ils voulaient
non pas établir une autre et nouvelle Église, mais réformer l'Église
existante. Les symboles de foi témoignent eux aussi de cette communion.
Ils s'appuient sur les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament que
nous avons en commun ; aux symboles de foi appartiennent aussi les professions
de foi de l'Église primitive, qui nous sont communes.
... Il est illusoire de penser que l'Église serait plus crédible et
plus convaincante pour nos contemporains si elle se débarrassait du
poids, soi-disant inutile, de la tradition. C'est le contraire qui est
vrai.
4. Le mouvement œcuménique,
sur la base de la christologie biblique et de l'Eglise primitive, a
fait des progrès encourageants au cours des dernières décennies, en
particulier grâce à l'accord avec les luthériens sur des questions fondamentales
de la doctrine de la justification, et en général avec le réveil de
la fraternité chrétienne.
... Il me semble important que nous ne détruisions pas ce nouveau climat
par des polémiques publiques du jour ; Cela plait aux journalistes,
mais dans notre société indifférente et sécularisée cela ne sert ni
à l'un ni à l'autre, mais peut seulement nuire à tous les deux. Nous
ne devons pas compter sur des avantages à court terme ; il faut considérer
l'essentiel et le but commun, la fraternité de tous les Chrétiens. Aujourd'hui
aucune Église n'est plus majoritaire ; dans notre société moderne toutes
les Églises sont plus ou moins minoritaires et ont besoin les unes des
autres.
... Pour ces raisons, la Fédération luthérienne mondiale et le Conseil
pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens ont, entre-temps,
invité l'Alliance réformée mondiale et le Conseil méthodiste mondial
à examiner la possibilité d'adhérer à l'accord luthérien-catholique
et, le cas échéant, d'étudier les modalités d'une adhésion. Ce serait
un autre pas œcuménique important ; la base œcuménique s'élargirait
et nous serions en mesure de témoigner ensemble de l '" objet " de notre
foi. En plus, nous pourrions mieux accomplir notre mission dans le monde.
Car l'œcuménisme n'est pas une fin en lui-même. Jésus a prié que tous
soient un, afin que le monde croie (Jn 17,21). C'est pourquoi je vous
invite et vous encourage de tout cœur à oser faire ce pas avec nous.
5. Après l'accord fondamental
sur la question centrale de l'Évangile, dans la prochaine étape, il
s'agira, avant tout, de l'Eglise comme signe et instrument de l'Évangile,
de la nature et de la mission de l'Eglise et des ministères dans l'Église.
... Il y a accord fondamental également sur l'ecclésiologie : pour nos
deux traditions, l'Église n'est pas seulement une entité sociologique.
Selon le Nouveau Testament, l'Église est le corps du Christ et le temple
du Saint Esprit. Dans notre Credo commun, nous parlons de l'Église sainte.
... La véritable nature de l'Église - l'Église en tant que Corps du
Christ - est cachée, et elle n'est saisissable que par la foi. Mais
cette nature saisissable, uniquement par la foi, s'actualise sous des
formes visibles : dans la Parole proclamée, l'administration des sacrements,
les ministères et le service chrétien.
... La plupart des Églises ont le sentiment que c'est précisément dans
un monde en voie de globalisation qu'il est urgent d'avoir un ministère
d'unité comme point de référence et comme symbole de cette unité.
6. Le but du mouvement
œcuménique est l'unité pleine et visible de l'Eglise, c'est-à-dire la
pleine communion ecclésiale dans une même foi, avec les mêmes sacrements
et des ministères réciproquement reconnus.
... Ce concept d'Église confessionnelle de la communion ecclésiale ne
correspond pas non plus à l'approche des réformateurs eux-mêmes. Les
Eglises protestantes se trouvent donc devant un problème irrésolu ;
elles n'ont toujours pas trouvé de forme ecclésiale universelle. J'en
viens ainsi à la question cruciale : quel est le modèle catholique ?
7. L'Église catholique
part du principe qu'en elle subsiste l'Église de Jésus-Christ, c'est-à-dire
qu'elle y est concrètement présente et visible. Cela ne signifie pas
qu'en dehors de l'Eglise catholique il y a un vide ecclésiologique ;
on trouve d'importants éléments de l'Eglise de Jésus-Christ en dehors
d'elle également.
... Cette doctrine conciliaire a été reprise dans la Déclaration " Dominus
Jesus " et traduite dans la formule selon laquelle les Églises de la
Réforme ne sont pas des Églises au sens propre. Cette déclaration a
suscité beaucoup d'irritation, elle a souvent été ressentie comme une
offense et interprétée comme un abandon du Deuxième Concile du Vatican.
... Mais le texte doit être lu attentivement. Il ne dit pas : ce ne
sont pas des Eglises, mais : ce ne sont pas des Églises au sens propre,
c'est-à-dire au sens dans lequel l'Église catholique se conçoit elle-même
comme Eglise.
8. Dans la compréhension
catholique, communion ecclésiale et communion eucharistique sont unies.
Des solutions pastorales différentes pour des situations particulières
sont cependant possibles.
... Donc, si l'on veut la communion eucharistique, on est obligé de
poser la question de la communion ecclésiale, tout au moins sous la
forme d'un dialogue ouvert. On ne peut donc pas d'une part revendiquer
la communion eucharistique - et donc en même temps la communion ecclésiale
- et d'autre part affirmer l'incompatibilité entre les concepts catholique
et protestant de communion ecclésiale. Les deux affirmations ne s'accordent
pas.
9. Dans la dernière Assemblée
plénière du Conseil pour l'unité, en novembre 2001, nous avons parlé
de la prochaine phase et avancé la thèse suivante : l'œcuménisme dans
la vérité et dans l'amour doit devenir davantage un œcuménisme de vie.
... De même que nous ne devons pas perdre de vue la vérité, nous ne
devons pas nous contenter d'échanger d'anodines amabilités. Dans l'amour,
nous devons supporter nos différences et essayer patiemment de les surmonter.
Texte
intégral officiel
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